jeudi 12 septembre 2013

La tête ou les jambes



En politique, il y a deux catégories d'individus : les meneurs et les suiveurs, la tête et les jambes. Je pensais que Paul Gironde, conseiller municipal MoDem, faisait partie de la seconde catégorie. Ce n'est pas un foudre de guerre, un militant passionné, un ambitieux forcené : ces choses-là se voient, au physique, sur le visage, dans la démarche. Pas chez lui, qui a un profil bas, tranquille, discret, modeste, le profil parfait pour qui veut suivre quelqu'un. Gironde, c'est le gars qu'on va chercher, pas celui qui s'impose. Bref, des jambes, pas une tête.

Eh bien j'ai tout faux. On a raison de dire qu'il ne faut pas se fier aux apparences, se méfier de l'eau qui dort, etc. Dans le Courrier picard d'hier, Paul Gironde abat ses cartes, dévoile son jeu : c'est une tête, pas des jambes ! Il veut devenir chef quelque part, maire ou président de l'agglomération, parce qu'il en a l'envie et les capacités, selon lui. Le sage conseiller municipal, suffisamment centriste pour ne fâcher personne et s'entendre avec tout le monde, se définit, ô surprise, comme un "ambitieux" et un "audacieux" (c'est dans le journal !). Je le prenais pour Pierre Méhaignerie ; c'est en vérité Napoléon Bonaparte.

Attention, ce n'est pas du flan, mais du sérieux : "l'élu saint-quentinois a passé son week-end à rédiger une déclaration politique de cinq pages". Cinq pages, un week-end, ce n'est pas rien. Quelle est sa motivation ? "Je veux marquer mon territoire", affirme-t-il, comme ces grands fauves qui, de leur odeur et de leur urine, tracent un pré carré dans lequel il est interdit d'entrer. Le rêve de Gironde : un jeu de chaises musicales, Xavier Bertrand au Parlement, lui à la mairie et le tour est joué. Pas mal, non ?

Sûrement, mais permettez-moi d'avoir un doute : croyez-vous que l'UMP Bertrand va laisser les clés de sa maison à un MoDem, dont le chef a contribué à la défaite présidentielle de Sarkozy ? Là, plus question de rêver, c'est non. C'est pourquoi Paul Gironde ne sera jamais maire, ni président d'agglo. Ce qui ne diminue en rien son ambition, qui est un os qu'on ronge même quand il n'y a plus de viande. Sa candidature est de positionnement : ce n'est pas pour marquer un territoire qui n'existe pas, c'est pour se faire remarquer, c'est pour "exister", comme on dit bizarrement en politique. Gironde veut en être, de la liste, il sait que les places seront chères, il prend les devants, il essaie de se rendre "incontournable", comme on dit aussi en politique. Et il veut entraîner du monde dans ses bagages (être seul fait toujours mauvais effet, on donne l'impression de ne travailler que pour soi). "Je n'ai pas le péché de gourmandise", prévient-il. Paul Gironde veut seulement proposer trois ou quatre personnes de son choix qui le suivent (puisque c'est un meneur) sur la liste. Trois ou quatre seulement ! Qu'est-ce que ce serait s'il était atteint du "péché de gourmandise" !

Au passage, Paul Gironde décerne un label d'"humanisme" et de "social-démocratie" à Michel Garand, la tête de liste socialiste, en le félicitant. Mais pourquoi ne le rejoint-il pas ? Un centriste, normalement, c'est à mi-chemin entre la droite et la gauche, ça peut donc autant rallier l'une que l'autre. Bayrou a voté Hollande ; pourquoi Gironde ne soutiendrait-il pas Garand ? Mais ça non plus, ça ne se fera pas : Paul Gironde a beau jouer au Napoléon Bonaparte, ce n'est pas demain qu'il franchira le pont d'Arcole, drapeau au vent et sous les balles. Je serai même tenté de croire que ses amabilités à Michel Garand sont empoisonnées, comme souvent les félicitations en politique : il s'agit de ramener à droite l'électorat de centre gauche, dont Gironde se verrait bien le représentant, laissant Garand amputé de ses deux ailes, la gauche modérée et la gauche radicale. Après ça, impossible de prendre son envol. Et puis, en politique, je me méfie des gens qui se font la bise. J'embrasse mes intimes et ma famille, pas mes camarades mâles : quand je vois deux socialistes s'embrasser, je me demande toujours qui va mordre l'autre. Sans parler de la vieille histoire de Judas, qu'il faut conserver à l'esprit.

A part ça, le Courrier picard m'apprend une nouvelle sur une autre tête, celle de Freddy Grzeziczak, qui aspire lui aussi au titre suprême de maire, au cas où le poste serait rendu vacant par la loi sur le cumul des mandats et le désistement de Xavier Bertrand. Freddy a sa maison, la droite, après avoir beaucoup déménagé dans la vie (PS, MRC, Debout la République). Mais il lui manquait un appartement, qui sont nombreux dans la maison du Père : c'est fait, c'est tout frais, les clés lui ont été remises vendredi dernier. Il s'agit du club Nouveau siècle, dont la présidence d'honneur est assurée par Xavier Bertrand. Au moins, Freddy ne sera pas dépaysé. De plus, il retrouvera son vieux compère Frédéric Alliot, qui lui aussi a beaucoup déménagé dans son existence politique. Mais l'essentiel n'est-il pas de poser ses bagages quelque part, dans le bon train ? La seule question qui vale, pour les uns et pour les autres : être la tête ou les jambes ?

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