dimanche 15 novembre 2015

Eux et nous



A la guerre, il ne faut pas sous-estimer l'ennemi. Les djihadistes que nous avons à combattre et à vaincre sont souvent présentés comme des voyous, des criminels ou des barbares. Ils sont plus que cela : des croyants, qui attaquent le Bataclan au cri de Allah Akbar, parce que le concert est pour eux une fête de la perversité (sic) et les spectateurs des idolâtres (re-sic). Le communiqué qui revendique les massacres les bénit au passage et s'illustre d'une sourate tirée du Coran. Que ces actes ne respectent pas l'islam authentique n'est pas ici mon objet : je remarque seulement que nous avons affaire à des tueurs animés non par des motifs mercantiles ou traditionnellement politiques, mais par une terrible foi, et c'est ce qui rend difficile la guerre que nous devons leur mener.

Savons-nous aujourd'hui, dans une société largement agnostique ou mécréante, ce qu'est un croyant ? Un monsieur qui va à la messe, une dame qui essaie de faire le bien autour d'elle ? Non, c'est beaucoup plus que cela, beaucoup plus mystérieux : c'est quelqu'un qui est habité par Dieu. Et quand ce quelqu'un est armé, qu'il se sent une mission purificatrice, qu'il est porté au sacrifice, ça fait très mal et c'est, pour nous, difficile à combattre.

Car en quoi croyons-nous ? Pour quoi sommes-nous prêts à nous sacrifier ? Le vivre ensemble ? Voilà un bien faible motif, comparé à celui qui se bat pour le Tout-Puissant. La République ? Quand on voit les taux d'abstention aux élections, le dénigrement du personnel politique et la montée d'une formation antirépublicaine, on en vient à douter que nos concitoyens aient la foi républicaine chevillée au corps ... Nos ennemis, eux, se réclament de Dieu, qui est un allié de poids, un puissant stimulant.

Autre supériorité des islamistes : ils n'ont pas peur de la mort, la provoquent volontiers, y compris sur eux-mêmes. Nous, c'est la vie que nous défendons : la mort nous révulse, nous la refoulons de notre existence, la reléguons le plus tard possible dans la lointaine vieillesse. Combattre au nom de Dieu, mépriser la mort jusqu'à la souhaiter : voilà leurs forces, et nos faiblesses.

Les réactions aux attentats de vendredi soir ont, peut-être malgré elles, saisi cette dimension religieuse du conflit (que le sociologue Emmanuel Todd avait déjà repéré dans le mouvement après les attentats de janvier dernier). Sur les réseaux sociaux, un curieux slogan circule, reprenant la calligraphie du fameux "Je suis Charlie", grosses lettres blanches sur fond noir, mais avec un nouveau slogan : "Pray for Paris", prions pour Paris. De même, petites bougies au sol, bouquets de fleurs, rassemblements silencieux sont des formes de rituels, de simili-liturgies, certes pas inédits, mais qui n'existaient pas il y a 30 ans.

Dans la même veine, je note la référence constante au sentiment de compassion, vertu chrétienne dans une société française qui l'est si peu. Après ces cruels massacres, on aurait pu s'attendre, comme il était autrefois coutumier, à des élans de violence, de haine, des appels à la vengeance. Mais non : c'est la douce compassion qui s'impose. Comme si la religion, chassée par la porte, rentrait par la fenêtre, de façon indirecte, confuse et atténuée. Le Christ de miséricorde contre Allah le Tout-Puissant ? Il y a de ça, vaguement. Comme si on ne pouvait répondre à la religion que par la religion, inconsciemment.

Mes réflexions précédentes sont des hypothèses à discuter, mais j'ai une certitude politique : les islamistes sont venus tuer sur le sol de France dans le but de nous diviser, de monter les musulmans contre le reste de la population, et inversement. La percée électorale de l'extrême droite les aide dans cette tâche. A cette manœuvre, nous ne devons pas céder. Nous devons au contraire rappeler et manifester toute notre solidarité envers nos compatriotes musulmans, qui font partie entièrement de la communauté nationale. Ils sont les héritiers d'une grande et belle religion, l'islam, qui fait aussi partie de notre patrimoine historique et culturel.

J'ai été horrifié, ce matin, en écoutant sur France-Inter l'urgentiste Patrick Pelloux proposant à ce que les psychiatres repèrent les signes de "délire mystique" et rétablissent "l'hygiène mentale" des prétendus malades de la religion, comme on faisait dans la Russie soviétique. Dans la même logique antireligieuse, il demande l'interdiction du voile à l'université. Non, la France ne doit pas faire le jeu de l'ennemi, en attisant sur son sol une nouvelle guerre de religions, y compris pour des motifs prétendument laïques. Eux, ce n'est pas nous.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Cette compassion comporte certaines limites.
Les Français sont atteints par ce qui arrive sur le territoire français, comme si cette horreur était une nouveauté.
Or, ça arrive chaque semaine, dans de nombreux pays du "Sud", et dans une indifférence / un détachement généralisés.

D a dit…

Pour qu'un être humain, bien réel puisse se voir habité par Dieu, encore faudrait-il en rapporter la preuve de l'existence.

Anonyme a dit…

Ce n'est pas parce que Monsieur Pelloux est un Charlie qu'il ne puisse être en même temps un charlot.

Mohammed a dit…

Bonsoir.

Que peut-on opposer aux djihadistes ? L'erreur serait de leur donner une réponse religieuse "Vous avez Allah, nous avons Jésus". D'une part la France est déchristianisée et je ne pense pas qu'il puisse y avoir un retour en arrière. D'autre part, la France a déjà mêlé religion et politique ; le résultat fut catastrophique. Il n'est pas nécessaire d'invoquer une spiritualité pour se battre jusqu'à la mort. Des russes se sont donnés la mort pour le nihilisme, des français se sont battus jusqu'à la mort pour défendre la nation face à l'Allemagne en 14-18. Alors que peut-on opposer aux djihadistes ? À titre personnel, je n'accepterai jamais de vivre sous le joug d'un régime autoritaire d'essence islamique. je préfère me battre à la mort contre un tel système. Issu de la culture musulmane, je sais mieux que quiconque à quel point islam religion d'état serait une catastrophe. Et oui ! On peut se battre pour la liberté, la douceur de vivre, la nation ou encore la vie. Des ces valeurs la plus importante est la liberté, toutes les autres valeurs n'en sont que des corollaires.
Votre article a une dimension de résignation, de défaite. Le premier atout des djihadistes est la mollesse de leurs adversaires. À méditer.

Mohammed

Emmanuel Mousset a dit…

1- On peut être habité par le sentiment de la liberté ou de la justice, sans avoir la preuve de leur existence. La foi est une affaire intérieure, qui ne cherche pas de preuves autour d'elle, qui n'en a pas besoin.

2- Je ne suis pas résigné ni défaitiste, puisque je suis partisan d'une intervention militaire contre Daech (elle a commencé hier). Ca ne m'empêche pas de constater les points forts de l'adversaire, sans mollesse.

Michel O. a dit…

Ce qui a eu lieu le vendredi 13 novembre est certes un acte de guerre, mais il répond à d’autres actes de guerre dont le moment initial est la décision de détruire l’Irak de Saddam Hussein par le clan Bush et ses alliés il y a un quart de siècle. La France fait partie depuis le début, hormis l’heureux épisode chiraquien, de la coalition occidentale qui a déclaré la guerre à des pays musulmans. Irak, Afghanistan, Mali, Libye… Ces pays ne nous menaçaient aucunement avant que nous leur refusions leur souveraineté et la possibilité pour eux d’instaurer chez eux le régime de leur choix. La France n’a pas vocation à être le gendarme du monde et à intervenir selon son caprice dans tel ou tel pays pour y interdire les choix qu’il fait.
C’est se demander ce que signifie faire la guerre à un peuple qui est celui de la communauté musulmane planétaire, l’oumma. La France est-elle à ce point naïve qu’elle imagine pouvoir déclarer la guerre à des pays musulmans sans que ceux-ci ripostent ?
La pire réponse à la violence est la violence

D a dit…

<> ?
Cet individu-là n'est pas habité par une entité extérieure à lui-même.
Il n'est habité que par lui-même.
Il n'est qu'entièrement lui-même.

Emmanuel Mousset a dit…

A Michel O. : en matière de relations internationales, la violence répond toujours à la violence. C'est triste, mais le monde est ainsi fait. La constitution de l'Etat islamiste n'est pas liée à ce qui s'est passé il y a un quart de siècle. Quoi qu'il en soit, il faut militairement intervenir contre lui.

Anonyme a dit…

L'Europe en général n'a pas laissé se constituer les états actuels de la plupart des autres continents.
Les états européens se sont constitués majoritairement à la force de l'épée.
L'Europe aurait dû laisser se dérouler le même processus quoi qu'en vies humaines cela eût pu coûter.
Seule la mondialisation à marche forcée sans exploitation capitaliste des uns par les autres aurait pu éviter ce qui va se produire et le tournant loupé, c'est le début du XXème, avant le 1er conflit mondial.
Le modèle aurait pu être le Liban et on a vu ce qui est advenu...