mercredi 10 août 2011

Malaise dans la civilisation.



Affolement des marchés, émeutes en Grande-Bretagne : deux événements qui n'ont rien à voir, qui stupéfient en plein coeur de l'été, qu'il faut pourtant relier, puisqu'ils expriment tous les deux, chacun à sa façon, un "malaise dans la civilisation", pour reprendre le titre d'un ouvrage de Freud, rédigé dans une précédente période de crise. Car il convient d'aller chercher profond la signification de ce qui se passe en ce moment, qu'on ne peut pas réduire d'un côté à une énième turbulence du capitalisme et de l'autre à un simple problème d'ordre public.

En économie, nous assistons à une véritable mise en cause de l'occident et de sa puissance maîtresse, les Etats-Unis. Il aura suffi que ceux-ci perdent une petite lettre dans le classement discutable d'une agence de notation pour que le feu gagne les marchés mondiaux. Impressionnant ! Qui ne voit pas l'irrationalité de ce système ? Qui ne comprend pas que nos sociétés de consommation flambent, qu'elles dépensent ce qu'elles ne gagnent pas, que leurs appareils de production ne produisent pas assez, ne savent plus innover ?

Nous assistons probablement à une période de transition, qui peut durer encore très longtemps, pendant laquelle l'occident va s'éclipser et l'orient au contraire s'affirmer de plus en plus, Chine, Inde, puis demain le sud, Brésil notamment. C'est la loi de l'histoire : aucune civilisation n'est éternelle, la nôtre, dominante depuis plusieurs siècles déjà, est en crise de grande ampleur. Nous maîtrisons de moins en moins notre destin, l'avenir s'obscurcit. Si l'Europe ne parvient pas à faire l'Europe, la France n'aura plus guère de place dans le nouveau monde qui se dessine.

Les émeutes qui frappent le Royaume-Uni sont une conséquence, dont nous avons nous-aussi souffert il y a quelques années. On peut s'aveugler en ne voyant dans ces violences qu'une montée soudaine de la délinquance, à traiter par la classique répression policière. Mais il s'agit d'une crise sociale, la révolte d'une partie de la population qui n'a plus de boulot et qui veut du fric, parce que notre civilisation n'a plus aujourd'hui, cas unique dans toute l'histoire de l'humanité, que l'argent et les biens matériels à offrir en modèles et modes de vie. Etonnez-vous après que des magasins soient pillés et des bagnoles brûlées !

Certes, le capitalisme a toujours été irrationnel et mercantile. Mais pendant longtemps, il a su cultiver certains valeurs qui faisaient écran, la religion, la morale, le progrès, la science, la politique. Plus personne aujourd'hui n'y croit, le mécanisme du profit, caché ou sublimé avant, est mis à nu. La révélation est d'autant plus brutale que le capitalisme a vaincu toutes ses résistances, ses contestations, le communisme et la révolution, à quoi plus personne n'adhère non plus, après y avoir goûté amèrement.

Une partie des classes populaires est en marge de notre société, qui ne cesse de faire les yeux doux aux classes moyennes, parce qu'elles sont devenues les classes dirigeantes, avec la grande bourgeoisie. Des millions de personnes dans la société occidentale ne se reconnaissent plus dans leurs dirigeants, les discours et les politiques qu'ils tiennent. C'est dramatique et dramatiquement dangereux, les révoltes en Grande-Bretagne en sont la malheureuse illustration.

La gauche a un devoir historique, dont elle a en partie pris conscience : économiquement, elle doit se saisir du problème de la dette, en faire un sujet de débat et de campagne, en profiter pour remettre en question notre mode de production et de consommation. Nous allons vers ça, c'est maintenant certain. Socialement, la gauche doit s'appuyer en priorité sur les classes populaires, prendre d'abord en considération leurs revendications et leurs aspirations, renoncer à cette détestable hypocrisie qui laisse croire que classes moyennes et classes populaires auraient strictement les mêmes intérêts à défendre.

Quand on a un boulot, un salaire correct, une maison à soi, des vacances régulières, des enfants dans les meilleures écoles et des économies en banque, parfois des placements, on appartient à la petite bourgeoisie, on a ses problèmes de vie mais pas de survie. Pas besoin de descendre alors dans la rue pour tout casser ! La difficulté sociale de la gauche, presque psychologique, c'est qu'elle est culturellement dominée depuis une quarantaine d'années par cette petite bourgeoisie, éminemment respectable et facteur de progrès, mais désormais trop intégrée à la société de consommation pour comprendre et soutenir ceux qui en sont exclus et qui trouvent un exutoire dans le vote extrémiste.

Si la gauche prend la mesure de la crise mondiale, si elle sait se détacher des schémas anciens qui ne collent plus à la réalité, si elle renoue avec sa raison d'être (être le porte-parole des plus pauvres), elle aura un rôle historique à jouer afin de dissiper le "malaise dans la civilisation".

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