mardi 2 août 2011

Un homme de gauche.

Quand un homme public meurt, quelques mots nous viennent à l'esprit pour le décrire, une sorte d'épitaphe qu'on se fait dans la tête. De Patrice Thétier, disparu dimanche dernier, je dirais de lui, pour ce que j'en sais, qu'il était un homme de gauche, au sens fort du terme. Chacun aura à cette heure ses souvenirs, qui ne seront bien sûr pas les mêmes. Pour moi, il m'en restera ce beau titre, qui n'est pas une vulgaire étiquette : un homme de gauche, authentiquement, profondément, oui, voilà ce qu'il était, voilà ce que je retiens de lui.

De gauche, Patrice Thétier l'était par son engagement syndical à SUD, ne manquant pas une seule manif (la dernière où nous nous sommes rencontrés, c'était sur les retraites). La première où j'ai fait sa connaissance était un peu particulière, il y a quelques années, devant l'entrée de l'hôpital de Saint-Quentin où il travaillait, dans une mobilisation, une sorte de sit in contre le parking payant. C'était l'époque du premier comité, constitué par les organisations syndicales, avant qu'il ne soit remplacé bien plus tard par un second, très différent, à l'initiative du Parti des Travailleurs, regroupant cette fois les partis politiques de la gauche locale.

De gauche, Patrice Thétier l'était bien sûr aussi par ses convictions politiques, qui n'étaient pas les miennes, ce qui ne l'empêchait pas de se montrer très ouvert à la discussion, très tolérant et respectueux des idées d'autrui. Il était de culture communiste, mais pas membre à ma connaissance du PCF. Un temps, il a été le plus jeune candidat sur la liste municipale de Daniel Le Meur. Mais il avait pris, depuis longtemps, ses distances avec le milieu politique, déçu sans être indifférent. Son espoir, il le mettait dans la jeunesse, les nouvelles générations, comme il pouvait les rencontrer lors du festival de musique décalé Sérygolo, où nous pouvions nous retrouver.

Ce qui m'intéressait chez Patrice Thétier, ce qui rendait instructif nos échanges, c'est qu'il avait bien connu la gauche d'avant la droite, d'avant 1995, qui représente un peu à mes yeux la face cachée de la Lune, puisque c'est à ce moment-là que je suis arrivé à Saint-Quentin. La gauche aux responsabilités dans notre ville, je ne sais pas ce que c'est, et je suis persuadé que le présent s'explique par le passé. Patrice m'apportait de cette gauche une connaissance critique qui m'était précieuse, puisque plus grand monde, à part la droite mais de façon inévitablement partisane et polémique, ne parle de cette gauche municipale d'il y a vingt ou trente ans.

Homme de gauche, Patrice Thétier l'était surtout dans sa mentalité, très représentative de ce que j'appelle la gauche profonde, que je pouvais retrouver chez Gérard Martin, lui aussi disparu trop tôt, lui aussi responsable du syndicat SUD, lui aussi travaillant dans le secteur hospitalier. Patrice était combatif, au moral comme au physique, une force de la nature, et très attentif aux gens, à leurs problèmes, à leurs difficultés. Son militantisme était empreint d'une forte sensibilité, d'une humanité dont j'ai toujours pensé qu'elle trouvait sa source au contact des patients du centre psychiatrique, où il était moniteur-éducateur.

Patrice Thétier ne dissociait pas son engagement à gauche et son métier. Je crois que sa grande sincérité d'opinions venait de là. La politique n'était pas pour lui un jeu ou une comédie, sans doute parce qu'il n'avait pas succombé à l'attrait du pouvoir. En cet instant où il nous quitte, je garde en mémoire son visage, lumineux, souriant, sympathique, charmeur. Il faisait partie de ces personnes, pas si nombreuses que ça, qu'on rencontre sans crainte, sans appréhension, parce que leur franchise les met à l'abri de la susceptibilité ou d'une brouille personnelle, déterminés dans leurs convictions mais pas prise de tête. Je ne le reverrai plus dans les manifs, mais quand je croiserai les rangs de SUD-Santé, je penserai à lui, c'est sûr.

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