samedi 27 août 2011

Mourir bêtement.



Les vacances d'été sont la période des faits divers, sans doute plus remarquables quand l'actualité nationale et internationale est moins riche. Trois d'entre eux, qui ont la mort en commun, m'ont frappé : un adolescent enterré dans le trou qu'il avait lui-même creusé sur la plage ; un homme déshydraté dans sa voiture verrouillée, devant chez lui, sous le soleil ; un enfant noyé dans une piscine, alors que sa mère lui a ôté ses brassards et lui ramène ses vêtements.

Ces trois décès retiennent mon attention et me heurtent parce qu'ils étaient totalement évitables, avec un peu d'attention, de prudence, de jugeotte. Ce sont des morts bêtes, stupides, absurdes, qui laissent stupéfaits, interloqués, en nous demandant comment elles ont pu advenir ? La mort est injuste et atroce, mais la mort par inadvertance, presque par étourderie, l'est encore plus. On est pris d'un rire cruel et rageur qui se mêle à nos pleurs, à l'écoute d'aussi invraisemblables mais hélas bien réelles histoires.

Depuis que l'humanité existe, la mort est généralement une fatalité, l'issue biologique de l'existence, ou bien une tragédie, sur le champ de bataille, contre la maladie, face aux forces destructrices de la nature. Dans les trois cas mentionnés, rien de tel : pas de danger, pas de circonstances exceptionnelles, seulement une mort au quotidien, dans la banalité et la douceur de la vie.

C'est d'autant plus choquant que l'être humain dispose en lui de ressorts puissants qui le conduisent à résister contre la mort et qui font qu'on ne meurt pas si aisément que cela. Or, dans nos trois exemples, la mort prend des allures de mauvaise surprise, de sale tour, d'une facilité déconcertante, d'une imprévisibilité totale, un incompréhensible et scandaleux coup du sort. Serait-il donc possible que la vie cesse quasiment par hasard ? Autrefois au moins, la mort était liée au destin, contre lequel on ne pouvait rien, d'où l'on tirait consolation, résignation et sagesse. Mais mourir bêtement, non, c'est inacceptable !

Je crains que ces morts idiotes, que beaucoup probablement refuseront de reconnaître comme telles, en partant à la chasse aux "responsables", aux boucs émissaires, en cherchant désespérément à les "rationaliser" pour les conjurer, ne se multiplient dans nos sociétés modernes. Déjà, de simples accidents ou incidents plus ou moins graves ne cessent d'étonner : des promeneurs en montagne surpris par le mauvais temps et sauvés par voie d'hélicoptère, des automobilistes abandonnant leurs véhicules pris par la neige et errant désemparés, hagards, en pleine campagne, etc.

Ce que nous apprennent tous ces faits divers, c'est que l'homme d'aujourd'hui ne sait plus s'adapter à son environnement, en est la victime improbable, jusqu'à en mourir dans certains exemples extrêmes. La civilisation contemporaine, par rapport à celles du passé, se caractérise par un haut niveau de sécurité et un confort généralisé, qui ont amenuisé considérablement les défenses naturelles de l'être humain. A force de vivre dans un environnement heureux et favorable, nous avons oublié que le monde le plus proche, le plus quotidien, pouvait nous être hostile, se montrer périlleux.

Nos anciens, il n'y a pas si longtemps, se battaient pour la survie. Cette obligation les rendait très forts, très avisés. Regardons autour de nous : beaucoup de gens ont des comportements relâchés, négligeants, à défaut d'avoir été élevés dans une culture du risque. Nous avons perdu des réflexes, des instincts qui jadis permettaient de rester en vie. Le déclin des menaces nous a fait baisser la garde, nous a rendus incroyablement vulnérables. Je suis régulièrement surpris par la fragilité physique et psychique de bien des personnes, par ailleurs tout à fait normales et équilibrées, que je peux croiser, rencontrer ou observer, à la fois insouciantes et peureuses. Un rien nous inquiète et nous sommes pourtant distraits.

La première cause, c'est que nous avons rompu le lien millénaire avec la nature. Nous ne savons plus trop comment agir face à elle, nous n'avons plus l'expérience de sa violence, de sa sauvagerie. Du coup, nous faisons n'importe quoi, nous nous comportons n'importe comment, jusqu'à l'inconscience qui peut être mortelle. A force d'idéaliser la nature végétale ou animale, nous avons occulté sa réalité, nous sommes devenus ses proies souvent anodines et d'autant moins méfiantes.

La deuxième cause, c'est la croyance absolue que nous portons à la technique, à ce monde artificiel que nous avons créé et qui nous semble sans danger puisque nous en sommes les maîtres et inventeurs. La technologie est à l'évidence la religion, l'idolâtrie d'aujourd'hui, tellement elle est merveilleuse et miraculeuse. Pourquoi pas, à chacun sa religion, même si je n'en suis personnellement pas adepte et pratiquant. Mais pas au point de s'aveugler, de devenir fanatique : la technique n'est pas spontanément gentille et obéissante. A cause d'elle, nous avons déclenché des forces qui parfois nous échappent et peuvent éventuellement se retourner contre l'homme. Autant en avoir conscience et prendre ses précautions. Sinon, les accidents domestiques deviendront de plus en plus nombreux, à nos yeux naïvement incrédules. Il est assez embêtant et douloureux de mourir naturellement ; autant ne pas mourir bêtement ...

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