lundi 8 août 2011

Mort de femme.


C'était ma première marche blanche, cet après-midi dans les rues de Saint-Quentin, du parc des Champs-Elysées au palais de Fervaques. Nous étions cent, cent-cinquante environ, ce qui n'est pas mal du tout pour un mois d'août. La cause allait de soi : en mémoire d'Aurélie Martin, jeune mère de famille, handicapée, morte sous les coups de son compagnon le 30 mai dernier, pour lutter contre les violences conjugales.

La manifestation était organisée par la famille de la victime, réunie en collectif, soutenue par Ahn Dao Traxel, fille adoptive des époux Chirac, vietnamienne ayant subi elle aussi des violences pendant la guerre dans son pays natal. Il va sans dire que les différences politiques n'ont plus aucune importance dans un combat de cette nature et que le rassemblement de tous est attendu.

La marche blanche, c'est un type relativement nouveau d'expression citoyenne, qui a de plus en plus tendance à se généraliser et à quoi il va falloir s'habituer. Les structures, associations et partis traditionnels sont dépassés par des formes de mobilisation ponctuelle, via internet, qui modifient et renouvellent complètement les comportements militants. Nous aurions tort de ne pas y réfléchir, de les ignorer. Au contraire, il faut les accompagner, participer et s'en inspirer.

Ce n'est pas si évident, tellement nos réflexes politiques ou syndicaux sont différents. Je n'ai pas cessé d'y penser pendant tout le trajet de la marche blanche, que j'ai si souvent suivi pour de tout autres causes et revendications. Rien à voir avec une manif, malgré les apparences ! D'abord, il y a cette unité qu'imposent les tee-shirts blancs, alors qu'une manifestation classique est bariolée, chaque organisation cherchant à se distinguer avec ses banderoles et ses drapeaux.

Ensuite, il y a le silence de respect, puisqu'il s'agit d'honorer la mémoire d'une disparue : l'initiative se déroule sur fond de drame, avec une gravité que n'a pas une manif, aussi sérieuses soient ses revendications. Celle-ci est au contraire bruyante, agitée, exubérante. Enfin, une marche blanche n'est menée par aucun leader, porte-parole ou représentant : c'est la famille qui est en tête, c'est l'émotion qui prime.

Remontant la rue d'Isle, qui est séparée à mi-parcours par un muret décoratif, les organisateurs ont demandé à ce que la foule passe des deux côtés, afin d'occuper pleinement la chaussée, comme le veut toute démonstration de force. Signe que les participants ne savaient pas, n'avaient jamais fait ! Dans une manif, le mouvement de scission s'opère naturellement, sans y songer, sans le provoquer. Qu'importe : les promeneurs sur les trottoirs ou les habitants aux fenêtres prenaient conscience qu'une partie de la population de leur ville avait quelque chose à dire, et la rue est encore le meilleur endroit pour ça.

La fin, elle aussi, transgressait les codes d'une manif traditionnelle, puisqu'elle a eu lieu sur les marches de Fervaques, à quelques mètres du tribunal, comme pour que ce dernier entende l'appel à la justice lancé par la marche blanche. Surtout, au lieu d'une déclaration solennelle au mégaphone, c'est étonnement une chanson, style Star'Ac, qui a conclu le rassemblement.

Encore une fois, ce déroulement inédit d'une protestation de rue, en me surprenant, ne me dérange pas. Une seule chose compte, quels qu'en soient les moyens : c'est la juste cause. "Il n'y a pas mort d'homme", dit l'expression populaire. En l'occurrence, nous étions réunis cet après-midi à Saint-Quentin pour bien pire que ça : mort de femme, sans défense, l'une des violences domestiques les plus dramatiques qui existent et qui exige qu'on marche encore et encore pour la condamner.

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