vendredi 26 août 2011

A vot' bon coeur m'sieurs dames.



Rodrigue, as-tu du coeur ? Quel souvenir scolaire ! Et quelle question ! Aujourd'hui, plus besoin de Corneille : tout le monde a du coeur. Je fais remonter cet élan de bonté au débat Giscard-Mitterrand en 1974, qui se disputaient sur le "monopole du coeur". Depuis, nous avons progressé, nous sommes passés carrément à la dictature des sentiments.

Pire : des bons sentiments ! La compassion et l'empathie ont la cote. La bonne conscience et la bonne foi deviennent des arguments. On ne compte plus les épanchements envers les "victimes", forcément "en souffrance". En revanche, la raison et l'idéologie sont mal portées et mal vues. J'en veux pour preuve deux récentes initiatives :

D'abord, il y a cette révolte des hyper-riches contre eux-mêmes, à hurler de rire. Les simples riches ne sont pas concernés, pas assez riches pour impressionner. Non, ce sont les très riches, qui deviennent hyper-sympas puisqu'ils réclament à corps et à cris qu'on les taxe alors que personne ne leur demande rien. Après un si beau geste, on n'osera plus leur reprocher quoi que ce soit. C'est peut-être le sentiment de culpabilité qui les motive : en période de crise, il est sûrement obscène d'être hyper-riche. J'ai presque envie de plaindre leur cas de conscience ...

Il y en a un qui a senti l'arnaque médiatique, hyper-riche lui aussi, avec un coeur gros comme ça, qui n'apprécie pas qu'on l'impose à 3% seulement, trois petites gouttes d'eau prélevées dans un océan de milliards. Charles Aznavour, à l'instar des très riches américains, supplie qu'on lui enlève la moitié de sa fortune, l'autre moitié lui assurant de toute façon une vie de luxe éternel. Tu parles, Charles ! Quant à la dette publique, qui se chiffre elle aussi à plusieurs milliards, c'est l'océan qu'on veut éponger avec une serpillière.

Les hyper-riches d'un côté, les affamés de l'autre : voilà comment réagit une société qui a du coeur. Mon deuxième exemple de la dictature aveugle des bons sentiments, c'est le mouvement de solidarité envers la Somalie frappée par la famine. La presse locale et nationale ont fait état d'une collecte de denrées alimentaires non périssables assurée par "des jeunes de banlieue". L'Afrique qui crève de faim alors que nous cherchons tous à mincir, bien conscients que nous bouffons trop, ça la fiche très mal.

Notre société se rachète comme elle peut : elle déteste les pauvres, soupçonnés fréquemment de détourner leurs allocs pour acheter des écrans plasma et téléphones mobiles dernier cri, mais applaudit à la taxation des hyper-riches ; elle déteste tout autant les "racailles" de banlieue mais se félicite de les voir se transformer en abbé Pierre et mère Teresa. Sauf que tout ça, dans un cas comme dans l'autre, c'est pipeau.

Christophe Hondelatte m'a ouvert hier soir les yeux, en poussant un salutaire coup de gueule dans l'émission "On refait le monde", sur RTL. C'est un journaliste libre et compétent, bon connaisseur de l'Afrique : l'envoi de denrées alimentaires, c'est une ineptie. La population là-bas a besoin d'une nourriture spécifique, nutritive, pas de nos paquets de nouilles ou boîtes de petits pois, si tant est qu'ils parviennent à destination. Au mieux, a très clairement expliqué Hondelatte, ce sont les pillards qui vont se goberger, sans profit pour les victimes de la famine.

Nous avons la main sur le coeur et pas très loin du portefeuille, mais pas grand-chose dans la tête. Inutile d'ailleurs : quand c'est l'intention qui compte, on peut faire l'économie de la réflexion. Les riches expient leurs richesses, les jeunes de banlieue se rachètent une bonne image et tout le monde se complaît dans ce beau miroir de la générosité universelle. Les résultats concrets, l'efficacité réelle ? Sans importance ...

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