lundi 1 août 2011

Début de ramadan.

Il n'y a pas si longtemps, le début du ramadan se faisait à peine remarquer. Aujourd'hui, il est annoncé et commenté largement, sans qu'on sache d'ailleurs si la pratique a vraiment progressé ni le nombre exact de ceux qui s'y adonnent, puisque ces statistiques sont interdites dans la République française.

En tant que laïque, cette curiosité et cet intérêt de notre société pour la période de jeûne musulman ne me dérangent pas : chacun fait ce qu'il veut, en pense et en dit ce qu'il veut. Liberté, c'est le premier principe de la République. Notre pays se convertirait-il majoritairement au ramadan et à l'islam que ça me laisserait indifférent : un laïque ne juge pas des choix spirituels et de leurs règles alimentaires, majoritaires ou minoritaires, qui relèvent de la vie privée. J'en tirerais sûrement des réflexions sociologiques, philosophiques ou morales, mais pas politiques.

Je constate cependant, autour de moi, régulièrement, des remarques embarrassées, irritées, critiques à l'égard du ramadan et de son ampleur prise, réelle ou supposée. Ce n'est pas fondamentalement du racisme ou du frontisme, cette gêne se revêt parfois des habits de la laïcité, mais ce n'est qu'un accoutrement : le laïque véritable rejette tout mouvement d'humeur envers une confession, au nom de la tolérance, autre grand principe démocratique. La religion a le droit d'exister et de se manifester en République, pourvu qu'elle ne vise pas le pouvoir ou à imposer ses moeurs à autrui, ce que les musulmans n'ont évidemment pas en tête en entrant dans leur période de ramadan.

A titre personnel cette fois, le ramadan est une expérience de vie qui me semble intéressante, quoique n'étant pas pour ma part musulman (mais cette pratique est commune à bien des religions): appliquer à une part de notre intimité, l'alimentation, une règle relativement stricte, choisir d'établir un rapport particulier et inhabituel avec notre corps pendant une durée déterminée, rompre avec les modes de vie ordinaires que nous impose plus ou moins la société de consommation, se confronter à la nécessité biologique pour tenter de la dépasser, oui cette démarche mérite attention et réflexion, si tel est bien sûr notre goût.

J'éprouve pourtant une réticence, je rencontre une limite dans cette préoccupation pour le ramadan. Quand celui-ci devient un signe identitaire, un pur réflexe communautaire, une simple tradition qu'on répète, une consigne éthique dépourvue de tout sens ou fondement spirituels, je le délaisse, ça ne m'intéresse plus, je pense à ces gens dans mon enfance (et encore aujourd'hui !) qui allait à la messe par habitude familiale, par convention, par ancienneté si j'ose dire. Il est recommandé dans les Évangiles (Matthieu, 6-16) de "jeûner en secret", pour préserver la valeur et l'authenticité de la foi, ne pas en faire une convention sociale, aussi creuse et superficielle que n'importe quelle convention sociale.

Je vois une dernière interprétation possible dans cet engouement pour le ramadan : le besoin de distinction, de différenciation, très présent dans les sociétés contemporaines occidentales. Le paradoxe (mais ce n'est ni le premier ni le seul !), c'est que notre monde individualiste reprend à son compte une pratique ancestrale, en fait une singularité parmi d'autres, puisque l'individualisme touche aussi maintenant la bouffe.

Récemment, invité à un repas familial, j'ai été surpris quelques jours auparavant par un courriel de mon hôte me priant de lui préciser mes préférences alimentaires, mes plats proscrits, mes possibles allergies et mon éventuel régime ! (franchement, est-ce que j'ai une tête et un ventre à faire un régime ?!). Il y a une trentaine d'années, dans la même situation, personne ne demandait, avant un repas, quoi que ce soit : la politesse exigeait même de manger sans remarques ce qu'on vous offrait, d'aller jusqu'à féliciter la maîtresse de maison y compris lorsque la nourriture ne plaisait pas. Ces temps-là sont terminés. Regain du ramadan, nouvelle époque : tout est lié. On croit régresser, on est en réalité plus moderne que jamais, à tort ou à raison.

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