mardi 23 août 2011

Les mots menteurs.



Je vous parle régulièrement de ce que je crois être une détérioration du langage, chez les hommes publics et singulièrement les politiques. Ce n'est pas un problème mineur : quand on s'adresse aux autres, parfois à des millions d'autres, quand on a la charge d'exprimer des idées, la maîtrise de ce qu'on dit est quelque chose de fondamental. La démocratie repose d'abord sur la parole et son usage. Or, les mots d'aujourd'hui sont devenus menteurs, affectés de trois défauts : la laideur, l'inexactitude et le ridicule. Deux exemples récents illustrent cette dérive du vocabulaire :

A propos de la crise financière de ces dernières semaines, j'ai souvent entendu dire et répéter que les marchés avaient "dévissé". Tiens, c'est nouveau, ça ! Avant, nous parlions de "crise" ou d'"effondrement". Mais "dévisser", non. Peut-être parce que ce terme à la mode paraît moins dramatique que les deux autres ? Il fallait pourtant oser : c'est un mot très technique, peu employé, qui appartient au monde de ... l'alpinisme. Pas grand-chose à voir avec l'économie et la finance ...

Cette dimension technique a justement un aspect rassurant : un échec technique peut être corrigé par une solution tout aussi technique. Les mots sont des baumes ou des pansements. "Dévisser" efface l'irrationalité fondamentale de la crise boursière. Ce verbe laisse croire à un simple accident de parcours, comme l'alpiniste chutant de sa paroi.

Bien sûr, c'est redoutable : au-dessous de l'alpiniste, il y a le vide, dans lequel nos économies spéculatives craignent d'être entraînées les unes après les autres, liées qu'elles sont entre elles. Mais on joue aussi à se faire peur, car la vie normale, nous le savons bien, reprendra très vite son cours. Quand un alpiniste dévisse, ce n'est pas mortel : la cordée le retient, le protège, le gouffre n'est pas la mort, il y a plus de peur que de mal, seulement une belle frayeur. C'est impressionnant pour le néophyte, mais le spécialiste, le guide de montagne chevronné surmonte l'incident, réduit à une péripétie. On dévisse, on s'accroche et on remonte, voilà tout.

A propos de la réduction de la dette publique, il est beaucoup question ces derniers jours, et je l'ai encore entendu ce matin à la radio, de "raboter les niches fiscales", tout ça pour dire qu'on veut supprimer des avantages fiscaux. Mais pourquoi parler simple puisqu'on peut parler compliqué ? L'image est suprêmement ridicule, encore plus que celle du dévissage des bourses : imaginez un type, genre menuisier ou bricoleur, qui s'approche d'une niche, armé d'un rabot, pour la besogner !

Image fausse au demeurant : raboter, c'est enlever la surface de bois comme on pèle une orange, alors que la mesure gouvernementale reviendrait purement et simplement à supprimer, non à raboter. Et puis, il y a la niche ! Celle qui abrite le chien ou celle qui accueille le saint ? On emploie ce mot aussi idiot que faux pour ne pas utiliser le terme exact : privilège, puisque après la nuit du 4 août 1789, nous avons l'impression à tort que la République les a tous abolis.

Notre société ne croyant plus à la magie ou à la sorcellerie, que lui reste-t-il pour conjurer le mauvais sort ? Les mots, rien que les mots. C'est pourquoi ils sont devenus particulièrement menteurs, laids, inexacts et ridicules.

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