dimanche 14 août 2011

Un mystère en Berry.



Pour quelques jours à Saint-Amand, je m'occupe comme je peux. Rien n'est indigne d'intérêt, surtout pas les détails les plus triviaux de la vie ordinaire, qui donnent à penser. Ainsi, j'ai remarqué, sur les trottoirs, un phénomène singulier, étrange, inexplicable au premier abord : certaines poubelles, une minorité, portent un cadenas qui empêche de les ouvrir. Je ne comprends pas son utilité, je n'ai jamais rien vu de tel à Saint-Quentin.

En règle générale, les êtres humains cadenassent ce qui contient des biens précieux, par exemple un coffre-fort. Mais le contenu d'une poubelle ne mérite pas qu'on le protège, même si je sais qu'elles sont parfois fouillées pour les trésors que soit-disant elles contiendraient. Le curieux ou le nécessiteux s'adonnent à cette pratique, pas l'individu normal. De toute façon, je n'ai pas la clé de mon énigme : une poubelle est destinée à recevoir ce dont on veut se débarrasser, qui ne craint donc pas d'être volé. Il faut chercher ailleurs.

Une précision : j'ai observé de près, la perforation qui accueille le cadenas a été faite sauvagement. La poubelle ne s'y prêtait pas. D'ailleurs, la majorité des saint-amandois n'ont pas vu la nécessité de ce procédé. Ainsi dotées, ces poubelles ont vraiment l'air grotesques. J'en ai même trouvée une fermée par un antivol, comme on s'en sert pour les vélos ! Mais pourquoi cette bizarrerie ?

Que l'on redoute qu'on vous subtilise votre poubelle, c'est normal. Un être humain est capable de s'approprier à peu près n'importe quoi, même de peu d'utilité. Alors, une poubelle, oui ... Sauf que l'objet n'est pas attaché à un poteau, précaution un peu loufoque mais rationnelle. A Saint-Amand, c'est uniquement l'ouverture qui est bloquée.

J'ai réfléchi : ici comme ailleurs, une forme de vandalisme se développe, le feu de poubelle. Le cadenas serait-il une prévention, une dissuasion ? Peut-être, mais généralement, les vandales s'en prennent à la poubelle directement, la brûlent sans s'attaquer à l'intérieur. Et puis, un vandale ne recule pas devant un cadenas : il le fait aisément sauter. La protection s'adresse plutôt, à mon avis, au tout venant.

En mal d'explications plausibles, je me suis mis à méditer sur le sort des poubelles ces dernières décennies. Si on prenait soin d'étudier leur contenu, on comprendrait les évolutions de notre société. La forme même de la poubelle est révélatrice des changements de mentalités. Quand j'étais enfant, elle était en métal, grise, pas très belle, deux poignets sur les côtés, pénible à déplacer, parfois malodorante. En ce temps-là, "sortir" les poubelles était une corvée, et le "boueux" était un homme de peine. Une voiture mal fichue était qualifiée, en guise d'injure, de "poubelle".

Nul n'oserait aujourd'hui : les poubelles sont en plastique léger, avec des couleurs pimpantes, une barre pour les pousser aisément, et surtout, géniale invention de notre société de confort, des roues, oui des roues ! La poubelle avance désormais presque toute seul, fièrement. Bon, toutes ces considérations n'éclairent pas notre mystère du cadenas. Ce n'est tout de même pas un coup de sorcier, même si nous sommes en Berry !

Je ne veux pas vous faire languir ou vous laisser dans l'expectative. Si j'ai consacré le billet de ce dimanche à ce problème, c'est que je pressens un début de solution, sans doute fragile, mais je n'en vois pas d'autres, après consultation de mon entourage : chaque poubelle est dotée d'une puce électronique, d'après ce qu'on m'a dit (eh oui, c'est ça la société moderne, même les poubelles sont sous électronique !). Au ramassage, la poubelle est pesée, et la facture se fait au poids enregistré. Des petits malins, pour payer moins, vont déverser leurs déchets chez le voisin, qui doit alors se protéger. Si vous avez une autre interprétation, je suis preneur.

Mais quel est donc ce monde où les poubelles ont des cadenas, par peur de les voir utilisées à mauvais escient ? Le philosophe David Hume remarquait que le pessismisme humain se trahissait dans la manie que nous avons tous de fermer à clé notre logement quand nous le quittons, signe d'une fondamentale méfiance à l'égard d'autrui, considéré comme un potentiel voleur. La maison, pourquoi pas. Mais la poubelle !

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