lundi 14 janvier 2013

Le n°2, c'est zéro



Un peu de numérologie politique aujourd'hui : un n°1, il en faut un, dans un parti, dans une collectivité. C'est le chef, le patron, le boss, le leader. Mais un n°2, est-ce que ça existe ? Et c'est quoi exactement ? Pour moi, il n'y a pas de n°2 en politique : c'est du flan, un chiffre bidon, une étiquette pour rien. Le n°1 se suffit à lui-même, il ne se laisse pas concurrencer par un n°2. Un vrai chef n'a pas besoin d'un sous-chef qui, parce qu'il se prétend n°2, a l'impression de capter un peu de pouvoir au n°1, alors qu'il n'en a aucun. Le 2 joue de sa proximité avec le 1 pour laisser croire qu'il existe, qu'il a de l'importance, ce qui est complètement faux. Son pouvoir est d'opérette. Poulidor avait beau pédaler comme un dingue, il n'a jamais été Anquetil. Un n°2, c'est quelqu'un qui pédale ou qui rame, qui rêve d'être le leader qu'il ne sera jamais. Car un vrai leader accepte beaucoup de choses, avale de nombreuses couleuvres mais ne supporte pas d'être n°2, place humiliante pour qui veut être premier.

Un n°2 en politique, ça n'existe pas, c'est un mauvais numéro qu'un type se joue à lui-même, quand il veut se donner l'illusion d'être quelqu'un. C'est une manie d'ectoplasme. Prenons quelques exemples : à la tête de l'Etat, il y a un n°1, c'est le président de la République, mais il n'y a pas de n°2 en titre. Le Premier ministre, son nom l'indique, est le premier du gouvernement, pas le deuxième de l'Etat, sinon au plan protocolaire, c'est-à-dire pour la frime. Au parti socialiste, le chef c'est Harlem Désir, il n'y a pas de chef n°2 (ce que laisserait croire l'idée fausse de n°2). A la mairie de Saint-Quentin, le n°1 c'est Xavier Bertrand, là encore sans n°2, même s'il y a un premier adjoint, mais qui boxe dans une autre catégorie, celle des adjoints, bien distincte du maire, seule et unique chef.

Dans un raisonnement par l'absurde, concevoir un n°2, c'est s'autoriser, pourquoi pas, à imaginer un n°3, un n°4, un n°5, etc. Et moi, dans tout ça, au sein de la fédération socialiste de l'Aisne, je suis le numéro combien ? Allez savoir, peut-être le n°648 ! Avec les chiffres, on ne sait plus trop bien, ça finit par tourner la tête et faire dire n'importe quoi. Pourtant, il y a bel et bien des n°2, qui sont fiers de l'être, qui se présentent ainsi, qui aiment à le répéter. Les pauvres, c'est leur seule identité politique : être réduits à un numéro, à un drôle de numéro puisqu'il n'a aucune valeur. A vrai dire, être n°2, c'est zéro, double zéro, et sans le 7 qui en ferait un héros de film d'espionnage, même si le n°2 nous fait lui aussi tout un cinéma, mais qui ne trompe personne.

Alors, c'est quoi ce n°2 ? Car c'est bien une personne, tout de même ! Oui, c'est ce qu'on appelle un second (mais pas un deuxième !), un adjoint, un collaborateur, un bras droit, un conseiller, un lieutenant, un homme de confiance (bien qu'en politique il faille économe de sa confiance, tant il y a de déconvenues). Mais toutes ces qualités ne vous donnent pas une once de pouvoir. Un n°2, c'est un bonhomme en pâte à modeler, tout mou, qui fait ce qu'on lui demande de faire, qui à force d'être derrière le chef finit par croire qu'il est un chef alors qu'il n'en est même pas une moitié, un tiers, un quart, un millimètre ... Le n°2, c'est le brave gars qui apporte le café ou qui porte la serviette du n°1. Le vrai n°2 dans l'ordre politique, c'est le chauffeur ou le garde du corps !

Quand on a un peu de décence, de l'amour-propre et beaucoup d'ambition, on n'accepte pas d'être n°2, lot de consolation pour pleurnichard patenté, os à ronger pour chien battu. Il y a une formule qu'on prête à un n°1 de taille, Jules César, qui tranche et qui résume ma pensée : "Il vaut mieux être le premier dans son village que le second à Rome". L'empereur qui a régné sur une bonne partie du monde civilisé, qui était un maître en politique, homme de pouvoir s'il en est, avait tout compris : où que l'on soit, quand on vise le pouvoir, c'est la première place qui compte ; la seconde est factice, misérable, purement vaniteuse, même au sommet de l'empire romain. J'ai dit ! comme s'exclament les frangins.

Il y a une série télévisée que j'aime beaucoup, qui nous éclaire dans cette réflexion sur la numérologie des prérogatives, des titres et des vanités politiques : c'est "Le Prisonnier", de et avec Patrick McGoohan. Dans cette histoire fantastique, on ne voit jamais le n°1, le maître absolu du Village. En revanche, le n°2 est bien visible, c'est un semblant d'homme de pouvoir, en vérité une marionnette. Au "prisonnier", on a attribué le n°6, qu'il rejette brutalement dans le générique (pourtant, 6 ce n'est pas si mal, dans une communauté qui contient probablement plusieurs centaines de membres) : "Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre !" C'est aussi ce que je pourrais dire. Bonjour chez vous !

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Dans la marine , le pacha est le pacha et l' officier en second qui est de quart prend le commandement ... Alors être N° 2 c'est du vent ???

Emmanuel Mousset a dit…

Oui, c'est du vent : la politique n'est pas comparable à la marine.

Anonyme a dit…

Emmanuel,

Ne serais-tu pas le numéro 33, comme le club politique ?


Cordialement,

Stéphane Monnoyer