jeudi 17 janvier 2013

La gauche en guerre



Un peu plus de six mois après la victoire de la gauche, celle-ci doit faire la guerre ! Pas évident pour ce camp, traditionnellement pacifiste, avec parfois des accents antimilitaristes : la guerre, ce n'est pas dans les gènes de la gauche. D'ailleurs, à chaque fois que le parti socialiste au pouvoir s'est engagé dans un conflit militaire, il y a eu des critiques en son sein, des défections, quelquefois des scissions. Cette fois-ci, pour le Mali, rien : comme quoi, en matière de politique étrangère comme dans le domaine économique et social, mon parti évolue, sans même parfois s'en rendre compte.

Mais avons-nous affaire à une véritable guerre ? Bien sûr, ce n'est pas un combat armée contre armée, nation contre nation, avec son champ de bataille traditionnel. Mais ce n'est pas non plus une opération de police et l'expression d' "intervention militaire" me semble être un euphémisme : quand il y a affrontement, violence, destruction, souffrance et mort, c'est que nous sommes en guerre. Les risques sont grands, le courage est requis, les suites incertaines et le territoire national directement menacé. C'est aussi ça la politique : se préoccuper autant du ramassage des crottes de chien dans une ville que déclarer la guerre sur un autre continent, quand il le faut, quand l'engagement est juste.

La gauche a une autre difficulté avec la guerre, qui rend encore plus méritoire le choix militaire de François Hollande : elle est moins dans une culture de la décision que dans une culture de la discussion. Refaire le monde autour d'une table, voilà l'esprit de gauche, fort honorable, parfaitement démocratique (puisque l'essence de ce régime est le débat). Sauf que la guerre ne souffre guère qu'on en discute : tout repose sur la décision, celle du chef des armées, en l'occurrence le président de la République. La gauche n'est pas habituée à ça : elle discutaille, elle tergiverse et, dans toute autre circonstance que la guerre, elle a raison, c'est ce qui fait son charme, c'est ce qui lui donne sa valeur, c'est en partie pourquoi je suis de gauche. Mais déclencher une guerre ne se discute pas, ne se met pas aux voix, car alors on trouverait autant de raisons de faire la guerre que de ne pas la faire, et au final aucune décision ne se prendrait.

Première réaction de Jean-Luc Mélenchon à l'annonce de la guerre au Mali : c'est "discutable", a-t-il dit, au double sens où c'est critiquable et où il convient d'en "discuter" au Parlement. Mais la guerre n'attend pas, elle est motivée par un intérêt supérieur au débat et au vote, elle s'impose comme une évidence : si la guerre était "discutable", on en discuterait et on ne la ferait pas. Là se trouvent les limites de la culture de gauche (tout en ce monde a des limites, même l'excellente culture de gauche !) : à force de causer, on ne tranche pas (ce défaut se vérifie parfois dans nos débats ordinaires). François Hollande a su dépasser ces limites, assumer son rôle institutionnel, se transformer sans problème en chef de guerre et rassembler autour de lui. Ce n'était pas évident, il l'a fait !

En même temps, je n'aime pas trop le thème de l'"unité nationale". La droite a choisi de soutenir dans cette affaire le gouvernement, très bien ; mais il n'y a pas non plus obligation. Valéry Giscard d'Estaing et Dominique de Villepin ont émis des réserves, c'est leur droit, ça ne me choque pas. En démocratie, le débat ne doit pas s'interrompre, y compris en période de guerre. Ce qui doit échapper au débat, ce sont les centres de décision ; pour le reste, la République suit son cours. Faire taire les avis différents, suspendre en quelque sorte la démocratie, ce serait donner raison aux terroristes, leur concéder une influence et une efficacité dont il faut au contraire les priver.

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