mardi 29 janvier 2013

La faillite de l'humour



Dimanche, à la radio, Michel Sapin, ministre du travail, déclare à propos de François Fillon, ancien premier ministre : "Il a laissé un Etat totalement en faillite", façon de dire que la dette est énorme et plombe nos comptes (c'est comme ça que je le comprends en écoutant la séquence). Personne ne peut le contester. Sauf que le mot de "faillite", au sens juridique, désigne une situation de non retour où il ne reste plus qu'à mettre la clé sous la porte. Ce n'était évidemment pas la pensée ni le message du ministre.

Mais ce qui est dit est dit, l'internet comme toujours s'en mêle, le buzz s'installe, la polémique enfle en quelques heures à cause d'un mot de trop, extrait de son contexte, détourné de sa signification. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, intervient pour faire le commentaire de texte de son collègue : "C'est une image, c'est pour dire que c'est compliqué". Donc, la "faillite" n'est pas réelle mais métaphorique.

Le plus amusant, c'est qu'un adversaire politique, Alain Juppé, vient à la rescousse de Michel Sapin pour confirmer qu'il n'y a pas "faillite" de la France. Le ministre, pour stopper le feu qu'un seul mot a déclenché, donne une autre version quelques heures après l'émission : c'est par "ironie" qu'il a parlé d'un Etat "totalement en faillite", pour se moquer de la formule de François Fillon en 2 007, qu'il a certes utilisée, mais pas pour la reprendre à son compte, au contraire pour la retourner contre son auteur ! Mon Dieu comme la communication est un exercice compliqué ...

Quelle réflexion tirer de cet incident qui sera vite oublié, mais qui aura fait parler pendant quelques heures ? D'abord que la politique et l'humour ne font pas bon ménage. J'aime beaucoup l'art de l'ironie, de Socrate à Voltaire ; mais dans des fonctions publiques, il vaut mieux s'en abstenir. On rit tous de quelque chose, mais pas des mêmes choses. L'humour est très connoté. De personne à personne, dans un cercle restreint, oui, mais pas quand on s'adresse à un public nombreux, où l'humour rate généralement sa cible, est mal compris.

Et puis, l'activité publique déconseille le second degré, l'allusion, le clin d'oeil : dans une intervention, il faut être direct, clair, précis, ne pas laisser place à l'interprétation. Sur ce blog, je distingue bien les billets d'humeur, qui s'autorisent à la plaisanterie, et les billets d'analyse, qui essaient de demeurer objectifs. En politique, j'ai souvent constaté que le recours fréquent à la blague était un signe de faiblesse. Mettre les rieurs de son côté est relativement facile, et quand on manque d'arguments, c'est la seule issue.

Enfin, l'omniprésence des médias a changé beaucoup de choses dans notre vie publique : un mot est retenu, répété en boucle, le "off" n'existe pratiquement plus, l'homme politique doit désormais surveiller son langage, faire attention à tout ce qu'il dit. Paradoxalement l'humour est pris très au sérieux, ce qui interdit d'en faire. Autrefois, l'ironie était reconnue comme telle et ne suscitait pas de commentaires, elle était immédiatement comprise.

Notre rapport au langage a énormément changé, je l'ai souvent constaté. Il y a presque une police des mots, qui nous intime de passer aux excuses quand la parole semble avoir dépassé, volontairement ou non, la pensée. A la télévision, toutes les dérisions sont permises, mais aucunes ne sont autorisées à l'homme politique. C'est ainsi, mais je ne m'y plie pas. Sur ce blog, je maîtrise mon écriture, mais je reste libre des mots que j'emploie. Ma seule préoccupation, c'est qu'ils soient le plus juste possible.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Savez-vous à quand remonte le dernier budget à l'équilibre de notre pays ?

1973. La France est dans le rouge depuis plus d'une génération ! De 1974 (élection de Valéry Giscard d'Estaing) à aujourd'hui, la dette française est passée de 21,2% du PIB à 89,3% du PIB.