samedi 19 janvier 2013

La mort part en fumée



Les opposants au mariage pour tous, en décrivant celui-ci comme un changement de civilisation, un bouleversement "anthropologique" (c'est le terme qui revient fréquemment), se trompent de combat : cette institution, sociale avant d'être religieuse, s'est régulièrement adaptée à la société et réformée ; l'extension de ce contrat civil aux couples homosexuels ne sera qu'une évolution supplémentaire, qui ne met pas en cause la différence des sexes, qui ne nie pas qu'un enfant soit issu de la rencontre entre un homme et une femme (forcément !). Je mets de côté le débat sur la PMA (procréation médicalement assistée, qui est un autre sujet, éthique et pas sociologique, sur lequel je ne me prononce pas).

En revanche, il y a un véritable changement de civilisation, un bouleversement réellement anthropologique dont personne ne parle, que les chrétiens devraient pourtant dénoncer beaucoup plus fortement que le mariage homosexuel, parce qu'il touche beaucoup plus à leurs convictions : il s'agit de la crémation. Le mariage homo restera ultra-minoritaire, l'adoption concernera très peu d'enfants, alors que cette pratique mortuaire est en pleine expansion, la moitié des Français la préférant à l'inhumation. C'est une vraie révolution des mentalités, quand on sait qu'en 1980, 1% de la population faisait appel à la crémation. Le mariage homosexuel ne change pas grand chose à l'idée qu'on se fait de l'amour, tandis que la combustion du corps transforme complètement notre représentation de la mort.

Si je vous en parle aujourd'hui, c'est que j'ai écouté ce matin, sur ce sujet, une passionnante émission à France-Culture, "Répliques". A part l'Extrême-Orient à qui il arrive de brûler ses morts sous des formes très ritualisées, la civilisation occidentale, depuis plusieurs millénaires, les enterre. Pourquoi, depuis quelques années seulement, les livre-t-on aux flammes ? Cette pratique est d'une grande violence dans sa signification, puisqu'elle vise à la destruction volontaire du corps, sa réduction à l'état de fumée et de cendre. Trois motifs sont couramment évoqués :

1- Ne pas être à la charge de la famille et de la société : l'inhumation est une pratique sociale, la crémation est un choix individuel. Après, il ne reste plus rien de notre passage sur terre, aucune trace, sinon dans les mémoires, au bon vouloir de chacun.

2- Ne pas polluer la planète en occupant un espace précieux, dont il faut désormais chasser les morts, en envisageant, à terme, la suppression des cimetières (qui déjà, aujourd'hui, sont beaucoup moins fréquentés qu'autrefois).

3- Manifester paradoxalement le culte contemporain du corps, qu'on soigne, qu'on bichonne, qu'on embellit, qu'on muscle et qu'on ne peut pas imaginer sans horreur se décomposer sous terre : mieux vaut le faire périr que l'abandonner à la pourriture.

Cette vague de fond en faveur de la crémation se comprend aussi comme la conséquence du reflux de la religion dans notre pays : on ne croit plus guère à l'immortalité de l'âme, à la façon des anciens païens, ni à la résurrection des corps, défendue par les chrétiens. Disparaître pour disparaître, autant ne rien laisser derrière soi, faire place nette.

Il n'y a donc plus de "dernière demeure", seulement le souvenir pour rendre témoignage. Du coup, le deuil se prive de rites (un tiers des crémations se font sans cérémonie) ou bien se bricole des rites, à la demande, mais ce sont de faux rites : par définition, un rituel est extérieur à soi, généralement porté par une religion, on y adhère ou on le rejette mais on ne le fabrique pas, ou alors c'est n'importe quoi.

Entre l'amour du même sexe et la mort qui part en fumée, c'est la deuxième qui rompt avec la civilisation multi-millénaire, qui pose le plus de questions et qui suscite pourtant la plus grande indifférence : allez savoir pourquoi ! Quant à se demander si le passage historique de l'inhumation à la crémation est un progrès pour l'humanité, je vous laisse en juger et terminer par vous-mêmes ce billet.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

On ne disparait pas ; poussière tu retourne en poussières; ceci est un des fondements du catholicisme, et de nombreux catho choisissent la crémation que les pouvoirs publics ( pressés par le lobbying des sociétés de pompes funèbres ) ne sont pas enclins à développer très vite ... Car cela s'éloigne du décorum ; toutefois les communes et surtout les petites font des murs du souvenir , donc les habitants restent avec leurs souvenirs très localement !!!!

Emmanuel Mousset a dit…

La poussière n'est pas la cendre.

Anonyme a dit…

Je ne suis pas d'accord avec vous la cremation est un choix individuel, la reconnaissance de droits aux homosexuels est un choix de société.
la crémation ne modifie pas les lois et n a aucune consequence pour ceux qui ne souhaite pas la pratiquer, le mariage pour tous c'est le contraire, tout le monde devra s'y soumettre quelque soit son opinion.

d autre part la cremation modifie simplement la structure des cimetieres car les urnes sont déposés dans des colombariums ou dans des caveaux plus petits permettant le recueillement , la derniere demeure reste une volonté pour 95% des cremations. l'eparpillement des cendres reste une exception.
votre argument n°1 ne correspond pas à ce qui ce pratique, les citoyens restent attaché à avoir un lieu de recueillement.
il n y a d ailleurs en france une augmentation des surfaces consacrées aux cimetieres.