mardi 15 janvier 2013

Sainte famille



A plusieurs centaines de milliers de personnes mobilisées dans les rues de Paris, la manifestation de dimanche dernier a été un beau succès pour ses organisateurs, et dérangeant pour moi qui n'en partage pas la cause. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas être honnête, ne pas reconnaître que le mariage pour tous suscite contre lui une vague de fond. Au contraire, c'est l'occasion d'y réfléchir, de se demander pourquoi tant de gens craignent une mesure à mes yeux juste et inoffensive.

D'abord, je constate trois paradoxes qui donnent à penser. Le premier, c'est que la France, pays des droits de l'homme et de la Grande Révolution, est à la traîne dans ce domaine du mariage homosexuel, provoquant une hostilité que d'autres pays, qui passent pour plus réac ou tradi, n'ont pas connue. Le deuxième, c'est que l'une des institutions les plus en pointe contre ce mariage, l'Eglise catholique, est dirigée par des célibataires. Le troisième, c'est que l'égérie du mouvement, Frigide Barjot, est assez peu représentative, par sa personnalité provoc et branchouille, de la sociologie des manifestants.

Paradoxale aussi de constater que l'une des idéologies, sans doute la plus influente quoique souvent non assumée, qui inspire le mouvement de contestation, le christianisme, n'est pas tendre envers la famille : lisez ou relisez les Evangiles, vous serez surpris de voir comment Jésus rabroue sa mère, se méfie de ses frères, demande à ses disciples d'abandonner leur foyer. La foi chrétienne rompt avec les liens du sang et fait des hommes des frères en esprit. Normalement, un chrétien authentique adore Dieu et vénère les saints, il ne porte pas au pinacle les "valeurs familiales". Saint Paul explique fort bien que la famille n'est qu'un pis aller, le modèle à suivre n'étant pas celui-là, mais l'idéal monastique. La "Sainte Famille" elle-même, la célébration égale de Joseph, Marie et l'Enfant-Jésus est une invention tardive et occidentale, qu'on ne trouve pas dans le christianisme des premiers siècles.

Je ne crois pas que la manifestation de dimanche ait été homophobe (sinon, étant donnée son importance, ce serait très inquiétant !). L'extrême droite y a pris part, mais de façon heureusement marginale. A entendre ces manifestants, ils ne sont même pas hostiles à une forme de reconnaissance juridique de l'union homosexuelle. Leur peur ne vient pas fondamentalement de là, l'homosexualité étant une pratique minoritaire, pacifique et respectueuse qui ne menace nullement la civilisation.

La religion étant rarement évoquée dans l'esprit des manifestants, le ressort de leur révolte est plutôt moral, en rapport avec la famille. C'est elle, et elle seule, qui est capable de mobiliser en sa faveur autant de monde. Et je comprends bien pourquoi : nous vivons dans une société où la famille est complètement éclatée et recomposée, et l'homosexualité n'y est absolument pour rien. Regardons autour de nous : qu'est-ce qui sape la famille traditionnelle ? Deux phénomènes de masse : le divorce et le concubinage, sûrement pas le mariage homo ! Celui-ci n'est qu'un prétexte, un déclencheur, un révélateur d'une crise plus profonde, celle de la famille.

Cette foule qui a manifesté dimanche, qui vit de plein pied dans la société moderne, c'est aussi d'elle-même dont elle se protège, de ses propres infidélités, peut-être de ses tentations. Car les plus grandes peurs sont celles qu'on éprouve à l'égard de soi. Les homos ont bien peu à voir avec tout ça. Ils sont plutôt des boucs émissaires. Le traumatisme est interne à une partie de la population, qui ne sait plus très bien où elle en est, même si d'apparence elle semble sûre de ses valeurs. Depuis quelques décennies, ce sont les choix et les comportements des hétéros qui ont bouleversé la famille !

Dans une société qui ne croit plus en grand chose, où l'on désespère d'un peu tout, politique, religion, idéologie, la famille devient une valeur refuge, la dernière branche où se raccrocher. Bon sang ne saurait mentir ! Même dans les milieux de gauche, je suis parfois surpris de l'importance accordée aux "valeurs familiales", les références récurrentes aux enfants, petits-enfants, la fierté à afficher "sa" famille. Comme si la cellule familiale (une expression qui en dit long !) avait une valeur en soi, représentait un absolu, était un critère de moralité. Le "bon père de famille" n'a jamais empêché d'être un parfait salaud, on le constate tous les jours dans la rubrique des faits divers.

J'admets que la famille soit un choix privé, une vertu personnelle, une valeur intime, mais surtout pas un argument politique, un modèle social, un principe moral. La famille n'est pas au fondement de la société, mais les lois, l'économie, le pouvoir. Qu'on laisse, en République, chacun vivre comme il veut, sans promouvoir aucun mode particulier de vie, sans non plus en exclure aucun.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

bonsoir,
je me demande ce que penseront ces catholiques bien pensants qui ont de nombreux enfants si l'un d'eux serait gay à l'âge adulte - impensable d'après eux car cela vient de l'éducation ! foutaise ! les sentiments ne se contrôlent pas et heureusement d'ailleurs
Martine

Anonyme a dit…

ce qui va revolutionner les parents c est qu ils vont devoir dorenavant eduquer leurs enfants en leur apprenenant qu il est normal qu un homme ait des relations sexuels avec un autre homme, jusque à present l'éducation sexuelle passée surtout par son aspect "reproduction".
beaucoup de parents vont avoir du mal à aborder ce sujet lié au "plaisir"
c est une revolution qui se prepare dans l' éducation des enfants.
Les enfants vont poser des questions aux parents , car l'homosexualité sera désormais plus visible et normalisé par le mariage.

Anonyme a dit…

Avant de prêter à vos adversaires des motivations qui sortent droit de votre imagination, vous pourriez écouter ce qu'ils disent : ils défendent le droit de l'enfant à avoir un père et une mère. C'est tout. Mais peut-être qu'un homme de gauche ne peut pas envisager qu'on manifeste pour défendre autre chose que ses p'tits intérêts ?