lundi 21 janvier 2013

Une localière en Picardie




A tous ceux qui n'aiment pas, qui connaissent mal ou qui ne fréquentent pas les journalistes de la presse locale, je conseille vivement la lecture du témoignage d'Emmanuelle Bobineau, localière du Courrier picard à Péronne. Le style est vif, concis, concret, à la façon d'un billet de blog (à quoi d'ailleurs l'ouvrage ressemble).

C'est d'abord une découverte du métier, qui mêle le travail de terrain et de bureau. C'est tout un vocabulaire propre à la profession : binôme, chemin de fer, leucosélophobie (!), dont je vous laisse chercher la signification dans le livre, en l'achetant ! Le journalisme a ses exigences (Emmanuelle Bobineau refuse de passer un article sept jours après) et ses limites (l'autocensure, quand elle ne dit pas tout le ridicule qu'elle a perçu dans un spectacle de transformisme).

Mais le journalisme est aussi un formidable observatoire et révélateur de la nature humaine (un peu comme la politique). Et ce n'est pas toujours joli joli : face à la presse, les gens peuvent être craintifs, fermés, compliqués, arrogants ou bêtes (ceux qui confondent le commentaire du journaliste avec les propos relatés). Certains ne veulent pas être pris en photo, sans donner d'explication (les réactions devant les journalistes sont parfois irrationnelles), d'autres au contraire essaient de corrompre, en offrant une bonne bouteille, un gros bouquet ou une place pour un match. Il y a ceux qui font la gueule et ceux qui draguouillent !

Les rapports entre la journaliste et les élus sont également très instructifs, et confirment ce que je peux voir et savoir. Un maire se plaint parce qu'un article décrit un pot de l'amitié où les invités se montrent particulièrement empressés de monter à l'assaut du buffet. C'est vrai, c'est fréquent, c'est banal, mais tant de gens ont un problème avec la vérité ! Un autre maire reproche à Emmanuelle Bobineau de "ne pas l'aimer" (sic) parce qu'elle ne parle pas assez de lui dans le journal, que sa photo n'apparaît pas autant qu'il le souhaiterait !

Certains responsables d'association ne sont pas mieux disposés, lorsque l'un d'entre eux proteste de ne pas voir sa lettre de quatre pages reprise dans le journal. Ce qui est sidérant, et je le constate autour de moi, c'est à quel point pas mal de personnes récusent, dénaturent le métier de journaliste, le conçoivent uniquement comme une activité de greffier à leur service. Ce travers est étrange dans une République, où la presse est libre et concoure à la formation de l'opinion publique. Même les relations avec les gendarmes et les pompiers sont plus difficiles qu'autrefois.

Ceci dit, Emmanuelle Bobineau aime son métier, fait de belles rencontres et ne désespère pas de l'humanité, même s'il lui arrive, rarement, de craquer : Marre d'être le bouc-émissaire de tous les maux de la société, lasse d'être prise à partie par la majorité, l'opposition, les responsables d'associations ... chaque semaine (page 66).

J'ai un seul point de désaccord avec la journaliste : elle n'aime pas traiter des faits divers, alors qu'ils constituent à mes yeux une forme de journalisme à part entière, qui met la lumière sur la dimension la plus sombre et la plus sordide de la nature humaine. Je l'ai souvent dit, sous forme de boutade : la réflexion sur un fait divers vaut largement un cours de philosophie ...

Pour terminer, je voudrais citer un passage du livre, page 67, qui résume le style et qui est un éloge précis et réaliste du métier de journaliste localier :

Ce 1er décembre 2 011, j'avais dressé une liste des articles à rédiger, pour être sûre de ne rien oublier tant j'avais à faire. Pas de gros reportages mais une multitude de petits papiers à écrire, des rendez-vous à prendre, des sujets à caler, sans compter les notes de frais des correspondants à viser. Ma journée s'est décomposée en tâches accomplies l'une après l'autre, sans trop penser. J'ai écrit article après article sans chercher à faire beau ou à donner du style au texte. Juste une succession de faits. Au final, j'ai été efficace, j'ai réglé différentes petites choses. A la fin de la journée, j'ai eu le sentiment d'avoir été utile. Et finalement, je n'ai pas fini tard.

Tout est dit, et bien dit.

Aucun commentaire: