lundi 4 janvier 2016

L'ère du soupçon



Nous sommes entrés dans la semaine de commémoration des attentats contre Charlie hebdo et l'Hyper Cacher de Vincennes. Hier soir, France 2 apportait sa contribution, en diffusant un documentaire, "Cellule de crise", présenté par David Pujadas, très bien fait, mais consternant de parti pris, de malhonnêteté, de théâtralisation de la tragédie. Ce populisme élégant donne des apparences de sérieux, de rigueur, de sens critique. Ce n'est en réalité qu'une œuvre révisionniste de la récente Histoire.

Car que nous dit-on, que veut-on nous montrer et nous démontrer ? Que le journal satirique était mal protégé, que les services de l'Etat ont été défaillants, que les administrations impliquées n'ont pas cessé de commettre des erreurs, que les décisions prises n'étaient pas bonnes, que les responsables politiques n'ont pas su anticiper le drame, etc. Même la venue sur place de François Hollande est soumise à reproche : le chef de l'Etat aurait pris des risques inutiles ...

Tout ça est présenté avec distance, force détails, semblant de compétence. Mais le documentaire me fait irrésistiblement penser au film "JFK", d'Oliver Stone, qui tend à prouver que le président américain a été assassiné par la CIA et la Mafia associées. A trop vouloir démontrer, à accumuler de soi-disant preuves, on finit par douter de la démonstration. Rien ne se veut plus réaliste que la fiction, rien ne recherche plus la crédibilité que l'invraisemblance.

Le petit travail pervers de Pujadas colle merveilleusement à l'ère du temps, qui est l'ère du soupçon. Tout commence par des applaudissements aux forces de l'ordre et se termine par la mise en accusation de leurs responsables. Trois traits de l'époque expliquent ce vice :

1- La technique prévaut en toute chose. C'est un état d'esprit qui n'admet pas l'incertitude, la contingence, les limites humaines. Il faut que ça fonctionne, comme une machine. Sauf que la vie n'est pas une machine. L'obsession de la perfection, la revendication du zéro défaut sont des folies, des réactions de ressentiment à l'égard de la réalité telle qu'elle est.

2- L'effacement de la religion nous a fait oublier ou refouler l'existence irréductible du mal. Les terroristes nous laissent incrédules, effarés, angoissés, parce que nous pensons que la norme, c'est la rationalité, le bien et les bons sentiments. Non, il suffit de regarder à travers l'Histoire : la constance, c'est la folie, la violence, la pulsion meurtrière. Nous ne croyons plus au hasard, au destin, à la tragédie. Quand ceux-ci nous rattrapent, ça fait très mal, dans les corps d'abord, dans les têtes ensuite.

3- Les institutions et autorités sont systématiquement disqualifiées. Le documentaire de Pujadas excelle dans cet art. On donne habilement la parole aux responsables, on en retient ce qui parait les discréditer, on ne cherche pas à comprendre. Ce n'est pas une explication objective, prudente, contradictoire, mais un réquisitoire, une attaque en règle, un point de vue orienté. Les fautifs, ce sont forcément ceux d'en haut. Les bons, ce sont ceux d'en bas, les braves citoyens, par exemple l'épouse du garde de corps de Charb, qui elle aussi s'en prend aux représentants de l'Etat. On lui donne la parole sans vérifier, sans questionner, en supposant que la vérité est forcément de son côté.

J'espère que cette semaine de commémoration ne continuera pas à distiller ce poison, le soupçon injustifié, extravagant, lourd de sous-entendus. Ce soir, sur France 3 cette fois, un nouveau documentaire sera proposé, "Au cœur du pouvoir" : nous verrons bien.

3 commentaires:

Philippe a dit…

"On donne habilement la parole aux responsables, on en retient ce qui parait les discréditer, on ne cherche pas à comprendre. "
Cela s'appelle de la propagande au service de l'un puis de l'autre.
Certains renifflent une fin de règne du PS, ils se préparent tranquillement et progressivement à changer de Maître.

Emmanuel Mousset a dit…

Non, la propagande est quelque chose de concerté, venant d'en haut, qui vise un objectif, souvent politique. Dans ce que je décris, c'est un phénomène culturel, sociologique, en partie inconscient. Pas de complot là-dedans.

U a dit…

Stop à la communication !
Juste des faits et des actes et ce sera bien suffisant.
Personne n'a besoin qu'on pense à sa place.