samedi 30 janvier 2016

Lavrilleux sur le divan




J'ai voulu rencontrer Jérôme Lavrilleux, qu'on ne présente plus, dont j'étais l'adversaire socialiste aux élections cantonales de 2004. En savoir plus, non pas sur l'affaire (tout a été dit, écrit, c'est la justice qui se prononcera), mais sur lui. Qui est-il ? Naïf ou cynique ? Tueur ou victime ? Mort ou debout ? Deux circonstances se sont présentées : la parution de sa Lettre d'information de député européen (voir billet du lundi 25 janvier), le passage de son ami et patron, Jean-François Copé, dans l'émission de Marc-Olivier Fogiel, Le Divan, la semaine dernière. Je me suis dit : et pourquoi pas lui, Lavrilleux, sur le divan, pour me confier son état d'esprit ? Dans sa permanence, rue Calixte-Souplet, où je me suis rendu hier soir, il n'y a pas de divan, mais un canapé (acheté d'occasion, me précise-t-il), qui va aussi bien pour une confession.

Notre conversation a duré deux heures. En bon freudien, j'ai procédé par association d'idées, pour voir comment mon client réagissait. Douze mots pour remuer une existence. C'est parti :

Célébrité. Jérôme Lavrilleux a basculé dans le monde des gens qu'on reconnaît dans la rue le lundi 26 mai 2014, vers 19h00. En entrant dans les studios de BFMTV, il était un quasi inconnu ; en sortant, une trentaine de caméras l'attendaient. Il naît à la célébrité en même temps qu'il meurt à la politique. C'est pour lui le cauchemar qui commence. Il a beau avoir une tête de gentil, faire preuve de sincérité, manifester en direct son émotion : le méchant, c'est lui. Il découvre alors le cynisme du monde médiatique, une caméra dans son jardin, un avion au dessus de sa maison, sa famille harcelée de questions. Célèbre malgré moi et pour de mauvaises raisons, me dit-il.

Dans les trois semaines qui vont suivre, il se coupe du monde, éteint radio et télévision, où son nom, son œuvre, sa vie sont passés au gril. De quoi devenir parano. Quand il retrouve la rue, prend le train, on reconnaît son visage, mais pas toujours son nom. Jérôme Lavrilleux craignait les remarques agressives. Mais non, ni sur les têtes, ni dans les regards. Aujourd'hui, il est encore célèbre, des magazines lui consacrent de longs articles. Mais il sait que l'image, progressivement, va s'estomper. Tant de gens, surtout en politique, rêvent à être célèbres ; lui s'en serait bien passé !

Souffrance. Oui, mais il ne veut pas poser en victime. Beaucoup d'autres souffrent plus que lui. Son corps a été affecté. Il a une jolie et terrible formule : Je ne savais pas si le soleil allait se lever. Mais il ne veut pas non plus surjouer le suicidaire. La souffrance est toujours là, sous-jacente, mais ses traits sont paisibles et sa parole ferme. Il n'a pas subi de dépression, il n'a pas consulté de psy. De quoi devenir schizophrène, pourtant, entre ce qu'il croit être et l'image que lui renvoient les médias. Pendant toute cette période, une immense fatigue l'a saisi. Et aujourd'hui, comment ça va ? Il me sort à nouveau une jolie formule (que je ne connaissais pas) : J'ai mis l'église au milieu du village. Depuis qu'il a traversé le malheur, il se sent plus heureux. En tout cas, il est au clair dans sa tête. Pour moi, tout au long de ces deux heures d'entretien, j'en garde une impression paradoxale d'assurance et de fragilité.

Solitude. Seul aujourd'hui parce que déjà seul hier ? Travaillant pour Nicolas Sarkozy, c'était de 6h00 à 2h00 du matin, sans vie sociale. Seul au milieu des autres. Et maintenant, exclu de son parti ? Non, il a retrouvé ses amis, intacts, a même renoué avec son ex, amicalement (il est divorcé). En philosophe, je lui demande si l'épreuve ne lui a pas fait découvrir la nature humaine : non, me répond-t-il, les gens bien le sont restés, les gens moins bien le sont restés aussi. Pas de révélation existentielle à l'issue de ce qui lui est arrivé. Pas de déception non plus sur les êtres humains. François Baroin, qui l'avait fortement critiqué, s'est montré sympathique avec lui, lors d'un déjeuner, comme s'il ne s'était rien passé entre eux. Ainsi va la vie, ainsi va la politique.

Amitié. L'amitié n'existe pas : il n'y a que des amis, nos meilleurs amis, comme on dit. Jérôme Lavrilleux salue ceux d'entre eux qui le sont demeurés, qui l'ont publiquement assumé. Parmi d'autres, Jean-François Copé bien sûr, à la vie, à la mort. Pierre André a été adorable. Je lui demande s'il ressent le besoin d'être aimé : non, m'affirme-t-il, suivi de cette formule : En politique, il y a ceux qui s'aiment trop, ceux qui ne s'aiment pas assez et les égarés. Je n'ai pas eu l'à-propos de lui réclamer dans quelle catégorie il se rangeait.

Pouvoir. Au début, c'est impressionnant, la voiture avec chauffeur et le Falcon. Très vite, on s'habitue, ça devient banal. Chez Jérôme Lavrilleux, les signes extérieurs de pouvoir n'ont été que des outils de travail. Il n'a pas fréquenté les yachts ou les palaces. J'insiste sur sa présence au plus haut niveau de l'Etat, auprès du président de la République, mais il éprouve là-dessus peut-être moins de fantasmes que moi (parce qu'il ne faut surtout pas les réaliser pour en éprouver de la jouissance ?). Curieusement, le pouvoir le laisse indifférent : ni plaisir, ni déplaisir. Il n'a jamais intrigué pour y parvenir.

Son trip (bad trip ?), c'est le travail, lui qui n'a pas fait les grandes écoles, qui n'exhibe pas de prestigieux diplômes. Auprès de Sarkozy, j'étais un domestique, dit-il en forme de boutade, c'est-à-dire de vérité. Il a pris son pied en tant que directeur de cabinet, d'André puis de Copé. Son mandat de prédilection, c'est maire, parce qu'on peut faire. Lavrilleux est plus dans l'action que dans le pouvoir. Au fond de lui, il est resté le militant qu'il est devenu, en 1989, en adhérant au RPR, venant d'une famille pas politisée. Etonnement, ce parlementaire européen ne se considère pas comme un homme politique. C'est en ethnologue qu'il a évolué dans les hautes sphères. Serviteur, certes, mais pas servile : Copé est contre le mariage homosexuel, Lavrilleux est pour.

Argent. Il réagit au quart de tour : J'ai plus de dettes que de patrimoine, j'ai peu d'épargne, pas de fortune personnelle. Et ce mot cinglant : Je ne suis pas Balkany. L'argent le laisse tout aussi froid que le pouvoir. Sa seule ambition, bien avant l'affaire, c'était de devenir parlementaire européen. C'est fait, et il s'y consacre à fond. Le fric, ce n'est pas son truc. Son plaisir, c'est d'organiser. Il se serait bien vu directeur d'un grand hôtel. Mais chef, non, pas pour la frime, pas pour la gloire. Ou alors pour construire.

Morale. Jérôme Lavrilleux me dit que c'est le plus important, qu'il n'y a jamais dérogé mais que c'est difficile en politique. S'il s'est rendu à BFMTV en ce funeste lundi 26 mai 2014, c'est dans un souci moral, pour défendre son patron injustement attaqué, Jean-François Copé, pour assumer sa mission, aller jusqu'au bout. Quelle est sa règle morale personnelle ? Rester fidèle à ce qu'on était dans sa jeunesse. Nous y reviendrons à la fin.

Haine. Jérôme Lavrilleux n'en éprouve pour personne, mais je sens qu'il a fait un travail sur lui. Il pense que ce serait faire trop d'honneur à ceux qu'on haït. Mais la haine sur les visages, bave aux lèvres, oui, il l'a rencontrée.

Travail. Gros bosseur, oui, mais pas bourreau de travail. Le travail, pour lui, c'est normal, dans ce monde anormal qu'est la politique. Ne serait-ce pas une façon de fuir ? Non, c'est une activité indispensable, comme lui est indispensable la cinquantaine de pages de littérature qu'il lit chaque soir, avant de s'endormir.

Avenir. Répondre à la justice, dont il apprécie les grands professionnels, et accomplir son mandat européen. Mais après ? la politique n'est pas exclue, mais il ne sera plus jamais le collaborateur d'un leader. Dans son activité de député, il se sent un homme libre, et y tient. Son avenir me semble très ouvert.

Enfance. Elle a été heureuse, auprès de parents extraordinaires. Mais dès l'enfance, il a détesté l'enfance : le petit Jérôme ne voulait pas rester avec ceux de son âge, préférait rejoindre la table des grands (comme en politique, longtemps après ?) L'enfant qu'il ne voulait pas être, ne l'est-il pas devenu plus tard, trop tard, à l'heure des comptes à rendre, naïvement, dans ce monde adulte et cruel qu'est la politique ?

Politique. Jérôme Lavrilleux est-il encore un homme de droite ? Oui, libéral, précise et préfère-t-il. En même temps, il ne vote pas nécessairement comme son groupe, le PPE, Parti populaire européen, il prend des positions qui pourraient le rapprocher de la gauche : adhésion obligatoire à un syndicat, vote obligatoire aux élections, refus d'inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité, fin de l'état d'urgence, traitement digne et humain des migrants de Calais. Quand nous évoquons ces questions, il se redresse, s'anime, gagne en passion. En 2017, si Sarkozy est candidat, c'est Hollande qui gagne, 52 contre 48 à Marine Le Pen, me prédit-il. Localement, il estime que Frédérique Macarez est un très bon choix et que Xavier Bertrand fera un très bon président de Région. Je n'arrive pas à lui faire dire du mal de ses petits camarades.

Avant de le quitter, je jette un coup d'œil à son bureau. Les objets sont parfois plus éloquents que les paroles. Deux drapeaux, national et européen ; une gravure imprimée de l'Hôtel de Ville de Saint-Quentin, datant du XIXème siècle ; une carte du Vermandois au XVIIIème siècle ; une photo du général de Gaulle avec le maire Pierre Laroche, vers 1962 ; une phrase calligraphiée de Jacques Chirac, le 7 mai 1995 ; le même, en portrait présidentiel officiel (et celui de Hollande ? lui fais-je remarquer : il n'y a pas obligation, me rétorque-t-il) ; une gravure de 1596 représentant Henri IV, à laquelle il tient énormément.

Qui est, en définitive, Jérôme Lavrilleux ? Je ne crois pas qu'il feinte, je consens volontiers à ce qu'il m'a raconté. Comme chacun d'entre nous, il garde sa part de mystère. Sa vie politique n'est pas finie, j'en suis persuadé. Nous le retrouverons, allez savoir où. Mais j'ai été abusivement docteur Freud pendant deux heures, je ne vais pas maintenant me transformer en madame Soleil.

1 commentaire:

CC a dit…

Reportage qu'on lit avec intérêt même si on n'est pas de son bord.
Ses dents ne raient pas le parquet (comme deux ou trois LR qui vont essayer de briguer le palais Bourbon ces jours ci) et il n'a jamais été déplaisant ou suffisant quand j'ai pu le rencontrer en diverses occasions.
Un seul souci : pour quels motifs s'est-il déballonné au lendemain de son élection au parlement européen.
Pas clair quand même.