dimanche 2 avril 2017

L'élection des électrons



Electron libre : jusqu'à présent, dans le vocabulaire politique, l'expression était péjorative, synonyme d'indiscipline, d'individualisme et même d'incohérence. A Saint-Quentin, auprès de certains socialistes, j'ai pu apparaître comme un électron libre, ne disant pas et ne faisant pas ce qu'on attendait de moi. L'étiquette suintait l'ironie et un léger mépris. Je l'ai toujours récusée : j'ai ma ligne, je me retrouve dans une sensibilité, je suis fidèle à mes idées. Mais aux yeux de l'alcoolique qui zigzague, celui qui va tout droit n'a pas une démarche normale.

A la limite, j'accepterais d'être qualifié d'électron libre, à cause de l'adjectif. En République, nous sommes tous libres, même les électrons. Et puis, un électron non libre est prisonnier de son atome : en politique, c'est un militant enfermé dans son parti, son appareil, sectaire et fanatique. Ce temps-là est révolu. L'actuelle élection présidentielle voit se libérer une multitude d'électrons :

Emmanuel Macron était l'électron de François Hollande : il s'en est émancipé en quittant le gouvernement. Benoit Hamon s'est écarté du gouvernement socialiste et de sa majorité parlementaire : les frondeurs sont des électrons libres, à plusieurs. Jean-Luc Mélenchon est un électron libre par rapport au Parti communiste, qu'il a décidé de ne plus suivre mais de précéder. François Bayrou est le plus vieil électron libre qu'on connaisse : il s'est détaché depuis une dizaine d'années de la droite, son camp d'autrefois. Marine Le Pen, en rompant avec son père et l'ancien FN, est aussi un électron libre, mais moins libre qu'on ne le croit, tant la filiation avec l'extrême droite demeure.

Allons plus loin : les électrons libres ont gagné le monde entier, notamment ses deux plus grandes puissances. Aux Etats-Unis d'Amérique, Donald Trump est un électron hélas libre, perturbant sa famille politique, le Parti républicain. En Russie, Vladimir Poutine est un électron libre au regard de son passé de fonctionnaire communiste, au service d'un système qu'ensuite il a contribué à dynamiter.

Cette affaire d'électrons libres est trop nouvelle, trop déconcertante, trop universelle pour la laisser à la seule politique : il faut que la philosophie nous apporte ses lumières. Dans l'Antiquité, Epicure avait une théorie pour expliquer l'origine du monde, à une époque où sévissait la mythologie. Son nom : le clinamen. Sa thèse : au commencement, l'univers est une pluie d'atomes qui chutent verticalement dans le vide, dans un strict parallélisme, qui fait qu'ils ne se rencontrent jamais. Le hasard va amener un de ces atomes (ou électrons, puisqu'alors on ne distingue pas) à légèrement dévier, entrer en collusion avec un autre, qui a son tour etc. De ce chaos va naitre le monde, par agrégation et désagrégation. Conclusion d'Epicure, traduite avec les mots d'aujourd'hui : ce n'est pas Dieu qui a créé le monde, c'est le premier électron libre, malgré lui, sans intention.

Notre monde politique, qui a besoin d'être recréé, assiste actuellement à l'heureuse éclosion d'électrons libres, pour le meilleur ou pour le pire. Ce désordre peut légitimement inquiéter, les repères de jadis sont malmenés mais c'est ainsi qu'un monde nouveau peut émerger. Vive les électrons libres !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Macron a largement inspiré la politique des gouvernements de Hollande depuis le CICE alors qu'il était conseiller à l'Elysée puis la loi-travail portée par Madame El Khomri. Il est donc responsable de l'échec économique et social de Hollande et ce n'est pas en quittant prématurément un bateau gouvernemental en perdition qu'on peut retrouver une crédibilité politique.