dimanche 9 novembre 2014

Démocratie représentative ou directe ?



Je suis contre, radicalement contre la procédure d'interpellation du maire par SMS à la fin du conseil municipal, mise en place à Saint-Quentin depuis la séance de vendredi soir. Je ne suis pas contre pour des questions techniques ou morales : je ne doute pas de la bonne intention de la Municipalité, de la bonne organisation de ce système, de l'honnêteté dans le choix des messages, ni même de l'utilité du dispositif : il est bien en effet que les citoyens puissent s'adresser directement à leurs élus et leur poser librement des questions. Non, mon hostilité radicale est politique, par principe : je refuse le contestable et contradictoire mélange des genres entre démocratie représentative et démocratie directe.

Un conseil municipal ressort entièrement de la démocratie représentative, tout comme la République française, qui est parlementaire. Qu'on puisse la prolonger par des consultations directes de la population, très bien : au niveau national, c'est le référendum, au niveau local, ce sont les conseils de quartier ou le référendum d'initiative populaire. Mais le coeur du pouvoir doit demeurer dévolu à la représentation, sans mélange ni limitation : des citoyens ont été mandatés par les citoyens pour faire le travail de gouvernants pour les uns, d'opposants pour les autres, point final. Dans une même séance et un même endroit, faire alterner deux types de démocraties de nature différente, ça ne va pas du tout.

Qu'est-ce qu'un conseil municipal ? C'est une enceinte dans laquelle, de la première minute à la dernière minute, un élu, de la majorité ou, le plus souvent, de l'opposition peuvent demander à s'exprimer, pour approuver ou critiquer. Nulle autre intervention extérieure ne devrait être admise, au risque de changer la nature de l'institution municipale. Le maire de Saint-Quentin a justifié ainsi son choix : "je veux que le pouvoir municipal sorte de la mairie". Non, le pouvoir municipal, en conseil, doit y rester : la population est présente, puisqu'elle est représentée.

Vendredi soir, la séquence des questions par SMS a duré pendant environ trente minutes, sur deux heures de conseil, ce qui est un temps assez important. Les questions, forcément, ne peuvent que s'adresser au premier magistrat de la ville, qui répond directement ou donne la parole aux adjoints concernés. Nous entrons alors dans une sorte de bilan de mandat avant l'heure, ou une séance d'informations diverses, dans quoi les élus d'opposition n'ont plus rien à dire, ne sont plus à la limite concernés. Ils deviennent les spectateurs muets d'une pièce qui leur échappe, dans laquelle ils sont inutiles. Bien sûr, rien ne les empêche formellement de prendre la parole, mais on comprend bien que ce qui se passe alors n'est plus fait pour ça. Car l'échange n'est plus entre la majorité et l'opposition, mais entre la majorité et la population.

Le terme de "démocratie participative" est à la mode, mais il ne veut rien dire. Tout type de démocratie, représentative ou directe, est "participatif" : en allant voter, en désignant leurs représentants, les citoyens "participent" autant qu'en posant une question par SMS ou en répondant par oui ou par non à la question d'un référendum . Outre le mélange incongru des genres que je condamne, la démocratie directe me semble moins vertueuse qu'on ne le croit : elle incite les citoyens à privilégier leurs intérêts particuliers, sans nul souci de l'intérêt général. Elle pousse aussi à la protestation ou à la revendication déraisonnable, puisque qu'à la différence du système représentatif, elle n'oblige à aucun choix.

Dans une période de défiance à l'égard du politique, de critique parfois irrationnelle des élus, de montée de l'extrême droite par tradition antiparlementaire, antirépublicaine, populiste et plébiscitaire, il faut user avec beaucoup de précaution et de discernement de la démocratie directe. Faire entrer les écrans de télévision dans un conseil municipal, donner l'étrange spectacle d'élus se regardant dans leur propre miroir, instaurer la démocratie médiatique par SMS, c'est une mauvaise chose, même si l'initiative part d'une bonne intention, même si elle sacrifie à un effet de mode, à l'air du temps. Une municipalité de gauche ferait la même chose (et certaines doivent y prêter), je dirais la même chose.

Le risque est grand de voir les citoyens zapper la séance proprement dite du conseil municipal et ne porter d'attention, de n'attribuer de valeur qu'à cette séquence de fin, dédiée à leurs préoccupations personnelles, avec réponse directe du maire. On comprend bien que cette fin sera, pour eux, plus intéressante que tout le reste. Je le répète : notre démocratie est d'abord représentative, secondairement directe ; les deux peuvent se compléter, mais pas se chevaucher, se doubler, se mêler.

Si les élus d'opposition ont une quelconque dignité de leur fonction et l'assurance de ce qu'ils sont, ils n'accepteront pas d'être présents inutilement lors de ces questions électroniques au maire et à sa majorité. Ils se lèveront et quitteront respectueusement la salle du conseil municipal. J'espère en tout cas que c'est ce que mes camarades socialistes feront lors de la prochaine séance.

1 commentaire:

D. a dit…

L'intrusion de séquences "sms" au cours de réunions semble n'être que gadget et même gadget pervers. Pour pervertir la démocratie représentative, voilà une nouveauté dont elle n'a nul besoin !
L'urgence dans un conseil municipal (comme dans toute entité territoriale) est de travailler au bien commun, à la majorité de proposer sa politique à mener, tout en laissant à l'opposition (ou aux oppositions) la liberté de faire des contre propositions et à tous ensuite de s'incliner devant le résultat des votes obtenus de manière démocratique, quitte à poursuivre les débats par tous moyens respectant les droits de l'homme et les libertés fondamentales, tant pour la majorité que pour l'opposition ou les oppositions par le truchement des tracts, des réunions publiques et contradictoires.
Aucune réunion d'être humains ne saurait être autre que contradictoire. Un débat par "sms" peut-il être du type contradictoire ?
Si cela l'était quand même, quelle régression dans la façon de mener des débats ! Qu'en aurait pu penser quelqu'un comme Gustave Lefrançais ?