mercredi 28 septembre 2016

Nous sortirons revoir les étoiles



Le documentaire d'Isabelle Debraye, "Et puis nous sortirons revoir les étoiles ...", est une belle réussite. Nous avons eu le plaisir de sa diffusion lundi soir, sur France 3 Picardie. La réalisatrice de 36 ans, qui a été formée au BTS audio-visuel du lycée Henri-Martin, s'est intéressée à la catastrophe ferroviaire de Vierzy, dans l'Aisne, en juin 1972. Son père faisait partie des rescapés, le tout dernier à être sauvé, qu'elle a donc interrogé.

Le documentaire est un genre ingrat. La fiction au cinéma est plus aisée. Et puis, prendre comme sujet un accident de train est moins facile à traiter que par exemple un crime, qui se prête mieux au récit. Eh bien, pendant 52 minutes, on ne s'ennuie pas une seconde, on se laisse prendre par les images et les commentaires, on s'émeut et on réfléchit.

J'ai d'abord été personnellement interpellé : Vierzy, sa tragédie, je n'avais jamais entendu parler, même le nom ! Bien sûr, c'est ancien et je ne suis pas natif de la région. Mais en 1972, j'avais 12 ans, l'événement aurait pu venir jusqu'à moi par les médias. Je me souviens bien de l'incendie du dancing le 5-7, en 1970, qui avait fait 146 morts ! Pourquoi pas Vierzy et ses 108 disparus, ses 240 blessés, dont 111 graves ? La mémoire est injuste, l'Histoire est sélective. Pourtant, deux trains qui s'encastrent sous un tunnel, c'est aussi horriblement spectaculaire qu'une boîte de nuit qui flambe. Mystère ...

Ce documentaire est d'une grande sensibilité, celle d'une fille à la recherche de son père, qui ne se sont cependant jamais quittés. Mais c'est un lointain passé qu'il lui faut retrouver. Dans le domicile des parents, un calendrier des Postes au mur s'est arrêté à l'année 1972. Isabelle Debraye longe les rails jusqu'à l'entrée du tunnel, parcourt la campagne environnante. On voit surtout d'elle sa magnifique chevelure blonde, dont elle fait un signe de reconnaissance. Emotion pure et simple, quand elle prononce ses mots : "mon papa".

Et quel papa ! Effacé, presque gêné d'être là, devant la caméra de sa fille. Cet homme qui a failli mourir, qui a perdu ses jambes à 22 ans, qui a tout de même fondé une famille ne se présente ni en "victime", ni en "héros", c'est-à-dire tout le contraire de nos contemporains ! Son drame, Bernard Debraye n'en parlait pas. Ce train, il ne devait pas normalement le prendre : c'était une surprise, pour être présent le jour de la fête des pères ...

Le malheur a beau frapper, il n'aura pas prise, c'est aussi ce qui ressort du documentaire. Il y a la solidarité qui s'organise, qui sauve des vies. Elle mobilise les secouristes, les infirmiers, les gendarmes, les riverains, des forains et même des "blousons noirs" (c'est ainsi qu'on appelait à l'époque, au journal télévisé, les voyous).

Enfin, il y a ce beau titre, que je prends plaisir à redire : "Et puis nous sortirons revoir les étoiles ..." Cette nuit-là, le ciel était splendide, alors que la souffrance meurtrissait Vierzy. Pour garder espoir, les secouristes levaient les yeux, pour se raccrocher aux étoiles. Il faut bien se raccrocher à quelque chose ... Isabelle Debraye a repris le dernier vers de "L'Enfer", de Dante. Oui, un magnifique documentaire, qui, mine de rien, inspire des réflexions métaphysiques.

1 commentaire:

V a dit…

Je connaissais quelqu'un de très jeune qui périt là (de retour d'internat)...
C'est ainsi la vie et c'est comme ça la mort...
Quant à vous : pas de culpabilité !
On ne peut ni tout savoir ni tout connaître non plus qu'avoir un jugement sur tout (le mal de notre époque)...