mercredi 22 février 2012

Le jour où.

Jacky, Pascal, Jean-Marc, Joël, Morgane, Sabrina sont des chômeurs, ouvriers, employés, artisans, en situation précaire, vivant mal. Ils ne parlent pas de pouvoir d'achat, d'augmentation de salaire mais de travail, qu'ils n'ont pas, qu'ils ont perdu, qu'ils n'arrivent pas à retrouver. Ce sont des Saint-Quentinois, que le Journal du Dimanche dans sa dernière édition est allé interroger à Pôle emploi. Dans la ville du ministre du Travail, le reportage est tentant. Les réactions sont édifiantes et préoccupantes.

Il y a d'abord la défiance envers la politique, la tentation de l'abstention : "La politique ? Une grosse tartine de merde que l'on bouffe tous les jours", "Hollande-Sarko, la différence ? Je n'en sais rien", "Faut que ça pète pour que ça change, ça se passera dans la rue plutôt que dans les urnes", "Aujourd'hui, il y a une élection, et les politiques sauvent les usines, c'est bizarre, non ?". On ressent une forme de radicalité, mais qui ne profite pas aux radicaux (l'extrême gauche, pas citée).

Ensuite, et encore plus troublant, il y a ces réflexions qui sans le dire (sans le savoir ?) ramènent à des opinions d'extrême droite : "La gauche ne parle pas assez d'immigration", "On se fait bouffer, il n'y a pas de travail pour tout le monde", "Il y a des gens qui font des enfants juste pour avoir de l'argent", il faut fermer les frontières et limiter les aides.

Ce que je perçois ? Doute, hésitation, incertitude, rejet, tentation, désespoir ... J'ai beau chercher, je ne vois pas une trace d'espérance, d'enthousiasme, de désir. Normal, me direz-vous, quand on est au chômage ? Non, au contraire même : c'est dans la difficulté qu'on peut se prendre à espérer quelque chose de quelqu'un. Dans une vie confortable, on n'a pas besoin. Les classes populaires, dans leur histoire, au plus fort de l'exploitation et de la misère, parfois beaucoup plus grandes qu'aujourd'hui, ont su réagir, se révolter, espérer. Ce qui est inquiétant, c'est cette sorte de déprime qui frappe les plus démunis, ne croyant désormais plus en rien ni en personne.

A Saint-Quentin, dans l'un des bassins d'emploi les plus touchés par la crise économique, et depuis déjà longtemps, dans une population qui connaît 15% de chômeurs, la gauche devrait avoir un impact beaucoup plus grand qu'elle n'a. Il y a là presque un mystère. L'antisarkozysme est certes présent, mais aussi la tentation xénophobe et nationaliste, plus encore le rejet du système, le refuge dans l'abstention.

Il faut sans doute que la gauche se mette au diapason des classes populaires, qu'elle ne soit plus seulement sensible aux classes moyennes et aux fonctionnaires. Je me souviens de François Mitterrand disant que le jour où Angers, ville longtemps symbolique de la droite conservatrice (j'y ai vécu un an), voterait à gauche, toute la France voterait à gauche. C'est maintenant à Saint-Quentin que je pense : le jour où la ville votera à gauche, toute la France votera à gauche.

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