dimanche 5 février 2012

Paroles d'ouvriers.

C'est quoi un socialiste ? Une oreille de classe moyenne à l'écoute de la vérité qui sort de la bouche des ouvriers. En tout cas ça devrait être ainsi. Encore plus à Saint-Quentin, ville de gauche qui se donne depuis dix-sept ans à la droite. C'est pourquoi il est indispensable pour un socialiste de lire l'enquête de Nicolas Totet dans le Courrier Picard d'hier, qui laisse s'exprimer les ouvriers saint-quentinois sur la présidentielle.

Les propos sont édifiants, je vous en livre en vrac quelques-uns significatifs : "Ce serait bien que ce ne soit pas toujours les mêmes qui payent ... Je ne crois plus en personne ... C'est toujours l'ouvrier qui trinque ... Ce n'est pas parce qu'on changera de président que ça ira mieux ... La politique on n'en parle pas à l'usine ... On sait pour qui on ne va pas voter ... C'est tellement compliqué la politique ... Tout augmente sauf les salaires ... On est mal barré, on ne sait pas trop sur quel pied danser".

Et puis il y a cette phrase terrible, l'une des rares indications de vote dans ces paroles d'ouvriers : "Je n'ai pas fait mon choix entre Mélenchon et Le Pen, ça dépendra de leurs meetings". Terrible parce que signe d'une confusion totale, d'une perte de repères politiques et idéologiques lorsqu'on hésite entre l'eau et le feu. Christophe Tézier, dans son billet de L'Aisne Nouvelle d'hier, fait part de ce même constat : "Tous les jours, la classe ouvrière est harcelée par deux prétendants. Jadis chasse gardée de la gauche, son coeur balance aujourd'hui entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen".

Ces paroles d'ouvriers doivent interpeller les socialistes. L'enjeu est de devenir audible à notre électorat historique. Après les débats Hollande-Juppé et Aubry-Fillon ou l'intervention dimanche dernier de Nicolas Sarkozy, les observateurs se sont félicités de la haute tenue des échanges, du bon niveau dans la précision et la technicité. Ce que je remarque, c'est la différence avec les présidentielles précédentes : les discours n'atteignaient pas en effet un tel degré de précision et de technique dans les argumentations (allant jusqu'à des détails probablement fondamentaux mais peu parlants pour la plupart des citoyens).

En 2007, Ségolène Royal avait su toucher le coeur des jeunes de banlieues, Nicolas Sarkozy par des formules simples et efficaces s'était rallié une partie de la classe ouvrière. J'ai l'impression qu'aujourd'hui les grands candidats ont oublié toute pédagogie, qu'ils se refusent à faire vibrer la corde des sentiments, qu'ils font assaut entre eux de performance technicienne. Leurs développements truffés de chiffres (j'ai envie d'écrire truqués de chiffres tellement on peut leur faire dire n'importe quoi) me sont particulièrement insupportables : si j'étais meneur de débats politiques, j'interdirais le recours aux chiffres, exigeant qu'on ne parle que d'idées et de projets. La politesse et l'élégance consistent à être compréhensible de tous. Ces manies aristocratiques (comme telles étrangères à nos bourgeois) sont aussi des vertus républicaines auxquelles je m'astreins dans mon métier et mes activités associatives. Ce devrait être le premier devoir des politiques : être accessible à tous par le langage.

Laisser la pédagogie à la démagogie des extrêmes, abandonner les valeurs pour les statistiques sont des crimes envers la classe ouvrière qui n'entend rien à ce qu'on lui dit, la classe moyenne ne comprenant parfois pas mieux mais faisant semblant, la petite bourgeoisie ayant besoin de montrer qu'elle est aussi intelligente que la grande et qu'elle peut aussi bien qu'elle cultiver les apparences (c'est ma définition morale du bourgeois : tout individu qui fait semblant, à quoi j'oppose la sincérité ou le silence ouvriers).

Je saisis bien les nécessités de nos principaux candidats : Sarkozy a un bilan à défendre et Hollande une crédibilité à démontrer. Ajoutez à ça le contexte économique et budgétaire et le discours technocratique s'en trouve justifié. Mais ce n'est pas politiquement une raison. Si nos candidats ne se mettent pas à la portée du peuple, le peuple se mettra à la portée d'autres candidats. Personne n'y gagnera, ni le peuple, ni la République.

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