samedi 4 février 2012

Tour de France.




Nous étions une bonne centaine de responsables d'associations et d'entreprises saint-quentinoises ce matin au centre Matisse pour préparer la venue du Tour de France dans la ville, le 5 juillet prochain. La rencontre a été menée de main de maître, comme toujours, par Luc Dufour, remarquable de clarté et de précision. Il nous fait ressentir la puissance et l'efficacité de l'organisation.

Comme il y a six ans, je participerai. A première vue mes préoccupations sont loin du sport ; en réalité elles m'y ramènent. J'ai fait pendant longtemps du vélo de randonnée et le Tour de France, l'événement sportif national le plus connu à travers le monde, me passionne en tant que mythe et symbole. Les plus grands écrivains ont célébré dans d'admirables pages cette épopée moderne, la chanson s'en est emparée, le cinéma l'a mise en scène. C'est ce côté-là, culturel, qui m'intéresse.

Je suis également touché par la dimension populaire du Tour de France. Quand il passe dans une ville, même si vous n'aimez pas particulièrement le cyclisme, vous ne pouvez pas rester indifférents, vous vous déplacez, vous allez voir passer le peloton. Pourquoi ? Parce que le Tour est à la France ce que la tragédie était à la Grèce antique : une lutte entre des extrêmes, une bataille de géants, un mélange de joie et de souffrance, le jeu du hasard et de la fatalité, l'épreuve de la volonté morale et de la force physique, bref les ressorts fondamentaux de la tragédie dont le Tour de France est la moderne version. On ne retient de la course cycliste que son aspect ludique, convivial, festif : on oublie que c'est essentiellement une tragédie qui se joue sur la route et dans les roues.

Enfant, j'ai grandi dans le duel Eddy Merckx - Raymond Poulidor, qui n'était pas seulement sportif mais métaphysique, prompt déjà à me faire philosopher : Merckx c'était le meilleur, le premier, une machine à gagner mais une tête pas sympa, sans sourire, le regard baissé quand on l'interviewait et un nom qui sonnait mal. Poulidor c'était tout le contraire : un nom qui chante, le bon gars toujours souriant, les yeux pétillants, tellement sympa qu'on lui avait attribué un surnom aussi simple qu'affectueux, Poupou, mais jamais premier malgré ses efforts, ayant contre lui le destin ... et Eddy Merckx.

Toute ma vie j'entendrai résonner dans ma tête ce cri d'encouragement : allez Poupou ! C'est plus qu'un appel du coeur, c'est une leçon de morale : l'injustice qui frappe le bon au profit du meilleur. Mais entre le bon et le meilleur, quelle différence ? Poulidor aurait largement mérité d'être ce qu'il n'a jamais été : le premier. Cette question me hante jusqu'à aujourd'hui : pourquoi un bon n'est-il pas le premier ? La seule explication m'est inacceptable : la fatalité, le concours cruel des circonstances. Raymond Poulidor restera à jamais l'éternel second.

Ma seule consolation et la sienne sûrement, c'est qu'il a été aimé, qu'il est devenu beaucoup plus populaire qu'Eddy Merckx, comme si le peuple voulait faire mentir la décision arbitraire des dieux (parlons ainsi puisque nous sommes en pleine tragédie grecque). Battu mais aimé ou gagnant mais laissant indifférent, le choix est cornélien, comme cette fois dans la tragédie classique française. Etre Poulidor ou Merckx ? c'est peut-être la seule vraie question de notre existence.

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