vendredi 10 février 2012

Nous n'irons plus au Larzac.

Il y a quelques années, me rendant en voiture à Montpellier, j'ai rencontré sur ma route un écriteau indiquant "Plateau du Larzac". Toutes les années 70 me sont alors revenues à l'esprit : la lutte contre l'Etat, la critique de la famille, l'amour libre. Aujourd'hui c'est terminé : on réclame plus d'Etat, plus de sécurité, la famille est une valeur-refuge et le sexe est devenu un marché sur internet. Mes pensées nostalgiques se sont vite dissipées. Le Larzac c'est si loin ! Le Larzac c'est fini ...

Pourtant, hier soir, au multiplexe de Saint-Quentin, en voyant le superbe documentaire de Christian Rouaud "Tous au Larzac", suivi d'un débat animé par l'écologiste Armelle Gras et le désobéissant Xavier Renou, la nostalgie m'a repris, je suis retourné avec plaisir, grâce au cinéma, dans ce formidable mouvement politique et culturel qu'a été pendant une décennie la résistance à l'extension du camp militaire (vous avez jusqu'à mardi pour aller voir ce film).

Ah le Larzac, toute une époque et quelle époque ! Au départ, le milieu n'est vraiment pas soixante-huitard : de petits agriculteurs accrochés à leurs propriétés, conservateurs et catho. Puis viennent les maos qui se font paysans parmi les paysans et veulent changer le monde. Oui, moi qui vous écris, j'ai vécu ça, un temps où des femmes et des hommes rêvaient en rouge d'une société radieuse et y sacrifiaient leur vie personnelle et professionnelle. A côté, Mélenchon ressemble à Bayrou, Poutou et Arthaud sont des sociaux-démocrates. Les maos c'était quelque chose !

Et puis est venu Lanza del Vasto, un spirituel vaguement indien, pacifiste, prêchant la non violence, voulant, lui, changer l'homme de l'intérieur, tout le contraire des maos. Mais quelle belle idée aussi, disparue aujourd'hui ! Cet espèce de prophète entraîne à sa suite l'arrivée des hippies. Le Larzac se lève, en 1972-1973, lorsque l'esprit de Mai s'éteint. Ce plateau des Causses est le refuge puis progressivement le cimetières des espoirs de 1968. L'extrême gauche y a trouvé l'occasion unique de jouer la guerre de classes grandeur nature contre un adversaire honni et redoutable, l'armée française.

Le documentaire de Rouaud rapporte une scène étonnante, complètement oubliée, la visite de François Mitterrand au Larzac en 1974, où il faillit se faire lyncher ! Pourtant, le leader socialiste campait à l'époque sur des positions très à gauche. Grande leçon de l'Histoire : l'extrême gauche s'est toujours nourrie d'antisocialisme, en s'opposant à la culture électoraliste et parlementaire du PS et du PCF.

En 1978, les maos ont disparu et les hippies ne sont plus à la mode. Il n'est plus question alors de changer l'homme ou la société. Mais les paysans du Larzac demeurent fidèles et obstinés, ils montent à pieds sur Paris, entrent dans la capitale sans banderole ni slogan, au seul son de leurs bâtons de marche frappant le sol. Ce bruit qui s'élève au milieu du silence est impressionnant : il signifie la mort politique d'un mouvement désormais réduit à ses revendications foncières initiales.

Ironie de l'Histoire : le Larzac a gagné grâce à l'homme qu'il avait pourtant hué. C'est François Mittterrand, après son élection en 1981, qui annule le projet d'extension du camp militaire. Ce qui avait commencé dans un esprit de révolution se termine par un décret gouvernemental d'un simple réformiste. Le Larzac depuis est laissé au vent, aux moutons et à nos rêves perdus. Son histoire est triste comme la vie. La politique sans les maos ni Lanza del Vasto est devenue une envie de maire-adjoint et de conseiller général. C'est fini, nous n'irons plus jamais au Larzac.

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