mercredi 29 février 2012

Le racisme de la bonne conscience.

Avez-vous remarqué ? Quand viennent les vacances, on ne vous demande plus ce que vous faites mais où vous allez, en tout cas dans le milieu qui est le mien, comme s'il était désormais normal de partir. Or je quitte rarement Saint-Quentin pendant mes congés, je n'en vois pas l'intérêt, je n'en ressens pas le besoin, je n'éprouve pas la nécessité de me changer les idées. Ce point de vue paraît aujourd'hui presque bizarre tellement les vacances sont devenus pour beaucoup synonymes de départ, de séjour, de voyage.

Je m'autorise simplement une journée à Paris. C'était ce mercredi ! Arrivé gare du nord, devinez sur qui je suis tombé ? Pierre Moscovici ! Quelques minutes plus tôt ou plus tard, j'aurai pu croiser François Hollande qui prenait le train pour Londres. Ceci dit, j'étais dans la capitale pour visite une exposition, au musée du quai Branly, "L'invention du sauvage", que je vous recommande fortement (vous avez jusqu'à début juin).

Il s'agit de la rétrospective d'un fait oublié : l'existence de zoos humains, dans toute l'Europe dite civilisée, du début du XIXè siècle aux années 1930. A côté des girafes et des singes, des indigènes de peuples étrangers, souvent africains, étaient exhibés à la curiosité du public, très nombreux pour assister au spectacle. Ces démonstrations se sont faites aussi itinérantes, dans des cirques ou des ménageries. L'idée nous semble aujourd'hui choquante et même scandaleuse mais la pratique a existé sans soulever pendant longtemps la moindre protestation.

Quand on parle de racisme, on pense immédiatement aux nazis, aux fascistes, à l'extrême droite, bref aux salauds. On évoque rarement le racisme de la bonne conscience sans lequel les salauds n'auraient jamais pu prospérer. Les zoos humains étaient en effet motivés par de louables intentions, généralement scientifiques, à visée pédagogique : faire connaître la diversité du genre humain. L'objectif était également humaniste : amener les peuples dits arriérés, sauvages, primitifs sur la voie du progrès, de la prétendue civilisation (le républicain Jules Ferry, cher au coeur des laïques, sera un fervent défenseur du colonialisme).

Enfin, et nous sommes en plein dans la société moderne, les zoos humains répondaient à la volonté de divertir les peuples en mettant en scène des représentants d'autres peuples, passant pour exotiques. D'ailleurs, qui mettra fin à ces spectacles dégradants ? Non pas la prise de conscience des droits de l'homme ou une réaction morale mais l'apparition d'un divertissement bien supérieur à celui des zoos humains : le cinéma ! Bref, voilà une expo qui fait bigrement réfléchir ...

Son parcours se termine par un éloge très contemporain du droit à la différence dans l'égalité, où homo, nain, trans, musulmane, obèse, handicapé et quelques autres "différents" s'expriment, assument ce qu'ils sont et en appellent au respect. J'adhère bien sûr à ce message mais je me dis qu'il sera sans doute regardé dans quelques siècles comme aussi étrange que la bonne conscience qui défendait les zoos humains. L'idéologie actuelle consiste à soutenir que chacun est à lui-même sa propre norme, qu'il ne saurait imposer à autrui. C'est ce qu'on peut appeler un individualisme éclairé, qui n'est pas sans poser de problèmes philosophiques (mais dès qu'on se met à penser, on tombe sur des problèmes !).

Jamais l'humanité jusqu'à ce jour n'a fondé ses normes de vie sur des réalités et des choix strictement individuels (et pour cause : la notion d'individu est relativement récente). Que peut donner une société dans laquelle les normes universelles ont cessé d'exister, où toutes les grandes questions sont ramenées à des choix personnels ? (comme disent en substance mes élèves : chacun pense et fait ce qu'il veut pourvu qu'il n'embête pas les autres). On voit bien les difficultés que pose dans l'action publique et politique l'individualisme le plus trivial, le plus viscéral. Pensons-y en ne nous croyant pas, comme les sociétés qui ont permis les zoos humains, une civilisation supérieure parvenue au sommet du progrès.

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