jeudi 9 février 2012

Une poignée de main.

Deux hommes qui se serrent la main, c'est banal, on le voit tous les jours. En même temps ce n'est pas si banal que ça : la plupart des gens que je croise dans la journée, je ne leur serre pas la main, je les salue de la tête et de la voix. C'est encore moins banal quand les deux personnes sont des adversaires qui s'apprêtent à se livrer à un combat à mort, dans lequel il y aura inévitablement des coups bas, parce que la politique est comme ça depuis la nuit très noire des temps. Vous m'avez compris : je veux parler de François Hollande et de Nicolas Sarkozy, qui se sont hier serrés la main lors du traditionnel dîner du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France).

La presse évoque ce matin la rencontre comme un petit événement alors qu'il ne s'est rien passé : deux hommes seulement qui se sont salués. Mais l'importance accordée à cette poignée de main n'est pas usurpée. L'image n'est pas anodine : elle a un sens profond, deux mains qui se touchent et qui s'étreignent c'est beau. Je pense à la chanson : "Si tous les gars du monde voulaient s'donner la main ..." C'est un symbole de fraternité. Dans l'adversité ? Mais oui, car ce n'est pas contradictoire. La politique n'est pas la guerre civile, le débat n'est pas un combat, la démocratie n'est pas un ring. Voilà ce que nous dit cette photo aujourd'hui dans nos journaux. Et c'est très heureux. Se serrer la main c'est faire la paix, c'est reconnaître l'autre, c'est lui adresser une forme d'estime qui n'empêchent pas la suite, la lutte pour le pouvoir et pour emporter l'adhésion des Français.

Il y a bien sûr des poignées de main qui sont malheureuses, celle de Pétain à Hitler, fausse poignée de mains d'ailleurs, comme le plus fort dans la cour d'école s'amuse à écraser la main du plus faible. Il y a la poignée de main électorale, que l'homme politique adresse à tout le monde, à n'importe qui, qu'il ne connaît pas, qu'il ne regarde pas. C'est plus précisément ce qu'on appelle du serrement de louche puisque la partie de votre corps ainsi manipulée ne ressemble plus à une main. Pourtant, la main est chez l'homme ce qu'il y a de plus fin, de plus subtil, de plus humain après les yeux.

Il y a plusieurs façons de serrer les mains : certains vous empoignent au point de vous prendre presque en même temps l'avant-bras, d'autres au contraire vous attrapent le bout des doigts en laissant filer le reste de la main. Il y a aussi la façon des enfants et des amoureux qui s'aiment trop pour se serrer la main mais qui se prennent par la main. J'ai en mémoire l'étrange scène de ce qu'on appelle très justement le couple franco-allemand, François Mitterrand et Helmut Kohl main dans la main, comme des écoliers ou des amants, en signe de paix et de réconciliation après trois conflits barbares et meurtriers qui ont opposé nos deux peuples. Hollande-Sarkozy hier soir c'était un autre sens, c'était moins fort mais pas moins beau.

Revenons-y : leur poignée de main n'était pas de pure politesse, comme lorsqu'on croise quelqu'un et qu'on ne peut pas faire autrement que le saluer. Chacun était assis à sa table, dînant et discutant, ils auraient pu l'un et l'autre s'ignorer, rester à leur place. L'un des deux a dû faire le premier pas, ce qui ne va jamais de soi, en amour comme en politique (j'ai en tête la très belle chanson de Claude-Michel Schönberg, "Le premier pas"). François Hollande avait peut-être à l'esprit non pas ce chanteur mais la phrase qu'il avait entendue dans le discours de Nicolas Sarkozy, à propos du rapprochement israélo-palestinien : "Qui doit commencer, faire le premier pas ? Celui qui tend la main est-il un naïf ou un fort ?" François a manifestement choisi la force à la naïveté : il s'est levé, il a marché, il a salué.

Ce n'était pas évident. Le protocole est muet dans ce cas particulier. Etait-ce au chef de l'Etat ou au candidat socialiste d'entamer la démarche ? Hollande a bien fait, c'est conforme à son image de rassembleur, d'homme qui ne cherche pas inutilement la crispation et le conflit. A Saint-Quentin, je suis toujours attentif au comportement de nos élus en matière de poignée de main. Car c'est leur job, malheur à celui qui ne s'y plie pas ! Dans une manifestation publique, je ne me dirige pas vers les élus, de la majorité ou de l'opposition, je ne suis pas un sujet en monarchie mais un citoyen en République, je n'ai pas à faire la révérence, j'attends qu'ils viennent à moi, les obligés ce sont eux. Je n'aime pas trop non plus ceux qui ne saluent que les proches, les copains et ignorent les autres ; ce n'est pas républicain c'est clanique.

Je vous salue bien, tous.

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