lundi 27 février 2012

Une histoire suisse.

Ce message en fin de matinée sur mon répondeur téléphonique : un certain Stéphane Délétroz, journaliste à la RTS (Radio Télévision Suisse), souhaite m'interviewer à propos de la démission d'un ministre suisse victime d'un scandale. C'est arrivé ce matin, je dois le recontacter au plus vite, en début d'après-midi. Qu'est-ce que j'ai à voir avec tout ça ? Pourquoi moi ?

J'appelle et le journaliste m'explique : il est tombé sur un de mes billets, déjà ancien, au moment de la démission de Michèle Alliot-Marie, il a trouvé intéressante ma réflexion sur l'usage de la démission en politique, il souhaite recueillir mes réactions sur l'affaire suisse, qui manifestement secoue le pays depuis quelques heures.

J'avoue ne rien savoir de cette actualité, mais l'internet est là pour combler nos défaillances : le "ministre" (le titre exact là-bas est conseiller d'Etat) est genevois, il s'appelle Mark Muller, membre du parti libéral-radical, embarqué dans une sale histoire pas très nette. Il aurait frappé un barman dans une discothèque à l'occasion d'une relation extra-conjuguale, quelques autres affaires lui traîneraient aux fesses, il a choisi de démissionner ce matin. C'est un peu, de très loin, un DSK suisse. Stéphane Délétroz souhaite enregistrer mon avis "en tant que professeur de philosophie", ce que je fais bien volontiers, sans me prononcer évidemment sur le contexte politique, que je ne connais pas suffisamment :

D'abord, appeler à la démission à la moindre polémique est une facilité qui heurte un principe démocratique, celui de la durée du mandat pour laquelle l'élu ou le responsable sont investis. Si un acte est délictueux, c'est à la justice de trancher, l'homme politique étant un citoyen comme un autre. Mais ce n'est pas à l'opinion publique, aux médias ou aux adversaires de faire pression pour demander sa démission, de se transformer en juge.

Quant à la question morale, elle est délicate. En République, et la Suisse autant que la France sont des Républiques, il y a une distinction stricte entre la vie privée et la vie publique. C'est un principe de laïcité. Si les vices intimes (nous en avons tous !) ne contrarient pas la bonne marche des affaires de l'Etat, il n'y a pas lieu d'exiger ou d'encourager une démission.

Un ministre ne doit-il pas être exemplaire ? Je me méfie beaucoup de l'intrusion de la vertu en politique, qui peut aboutir au puritanisme, à l'hypocrisie, parfois à la Terreur. On ne doit pas évaluer nos hommes politiques sur leurs moeurs. Quand la loi est bafouée, quand l'argent public est détourné, c'est autre chose, c'est encore une fois à la justice de se prononcer et à l'homme public et à son parti d'en tirer les conséquences. Mais attention aux amalgames !

Notre société est de plus en plus prompte à se scandaliser à la moindre occasion. Ne jouons pas les Robespierre en complet-veston, ne nous laissons pas aller à une américanisation de mauvais aloi qui ne retient vraiment pas le meilleur de l'Amérique ! Si l'on devait, de l'histoire de l'humanité, disqualifier et retrancher tous les grands hommes aux comportements personnels contestables, il ne resterait plus grand monde.

Voilà ce que j'ai dit à nos amis suisses, en guise de réflexion, sous forme de questions, pour ne pas trop céder au conformisme ambiant qui fait qu'on utilise aujourd'hui la démission comme autrefois l'Eglise maniait l'excommunication. Tout de même, savoir que la Suisse va m'entendre disserter quelques minutes sur ce sujet, ça me fait un drôle d'effet !

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