vendredi 10 mai 2013

Couac il arrive



La politique est une activité bizarre : quelques mots, pas nouveaux, auront suffi à occuper les deux jours de congés. Le 8 mai, on aurait cru à la fin de l'armistice, entre Copé et Fillon. Le 9 mai, c'était l'Ascension, de l'ancien Premier ministre au ciel des primaires. Et tout ce foin à cause d'un lapsus, d'une ambiguïté, d'un quiproquo, tout de même incroyable en si peu de mots, et venant d'un haut personnage de l'Etat, forcément sérieux et maître de sa parole : Fillon parlait primaires et tout le monde pensait présidentielles.

Mais il y a franchement plus polémique, que personne pourtant n'a signalé : normalement, un homme politique français n'aborde pas la politique intérieure de son pays quand il est à l'étranger. François Fillon, qui n'est pas le seul, n'a pas respecté cette tradition, dans l'un des pays les plus traditionalistes au monde, le Japon.

Pour appuyer sa déclaration, pour la terminer et la ponctuer, il a employé une expression qui a fait réagir : "quoi qu'il arrive". C'est afficher ainsi une mâle détermination, une assurance sans faille, qui donnent au candidat une allure très volontaire, mais aussi fanatique. "Quoi qu'il arrive", c'est une formule d'extrémiste, de jusqu'au-boutiste, d'aveugle motivation qui jurent avec le sage profil de François Fillon. Allez savoir si son bref séjour au pays du soleil levant, sa décoration des mains mêmes de l'empereur ne l'ont pas transformé en audacieux samouraï ou en téméraire kamikaze. Il y a des distinctions honorifiques qui finissent par monter à la tête.

Postuler aux primaires de 2016 "quoi qu'il arrive" ? Franchement, c'est stupide. Dans la vie, il peut arriver tant de choses, généralement imprévues, parfois graves, qu'il est impossible de dire "quoi qu'il arrive". La vie privée est si vulnérable, si incertaine : il est présomptueux de mépriser ce qui peut nous "arriver". La vie politique elle-même est pleine de caprices : c'est le jeu des circonstances qui souvent détermine les choix, les rend pertinents. Le temps est variable, incontrôlable : François Fillon sait-il ce que sera la situation dans trois ou quatre ans ? Evidemment non. Alors, le "quoi qu'il arrive" est imprudent et idiot.

J'applique la remarque à mon propre engagement : j'ai la vive intention, depuis longtemps, de me présenter à la candidature pour la tête de liste socialiste à Saint-Quentin. C'est une décision qui correspond à une cohérence de plusieurs années, six ans exactement, durant lesquels j'ai défendu une ligne politique très différente de celle suivie depuis la même date par la section et ses élus. Mais faudrait-il être borné pour prétendre que je me présenterai "quoi qu'il arrive" ? Dans les circonstances actuelles, étant donnés les candidats potentiels, j'ai la certitude d'être le meilleur. Mais la situation peut changer, rien ne l'interdit, à part peut-être une atonie de la gauche locale. Surtout, les conditions requises pour la victoire, que j'ai réclamées et qui ont été refusées (l'organisation de primaires et l'élection d'un nouveau secrétaire de section), font réfléchir et n'incitent pas franchement à se présenter, la défaite devenant plus probable que la victoire. En tous les cas, pas de quoi s'enfermer dans un "quoi qu'il arrive" obtus.

Bien sûr, Fillon n'est pas un homme insensé. Il sait parfaitement ce qu'il dit. Son "quoi qu'il arrive" est plutôt un "qui" : il ne songe pas aux événements, qui nous échappent, mais à un homme, Nicolas Sarkozy, qui pourrait être tenté par un retour. "Quoi que que fasse Sarkozy", voilà ce que Fillon avait probablement à l'esprit, que son surmoi lui interdit d'énoncer clairement. A moins que la virile proclamation ne soit que pour son propre usage : hésitant, il a besoin de surjouer le volontarisme, sinon on ne le croirait pas. Il y a ainsi des comédiens qui haussent la voix pour être dans le bon ton. Cette exagération cache, comme souvent, une faiblesse. Le "quoi qu'il arrive" sonne faux, est de trop, en fait trop pour être crédible : l'homme fort, sûr de son fait, n'a pas besoin de cette queue de phrase en forme de cocorico.

Dans cette affaire Fillon, il y a une hypothèse à laquelle personne n'a songé : le soir même, France 3 diffusait un documentaire dans lequel l'ancien Premier ministre s'en prenait vertement à l'ancien président de la République (voir mon billet d'hier), ce que Xavier Bertrand a vite fait de lui reprocher. Et si sa sortie japonaise n'était pas destinée à effacer ses propos imprudents ? Un couac peut en cacher volontairement un autre ...

Aucun commentaire: