lundi 13 mai 2013

Charles et Michel



Les socialistes de l'Aisne sont en deuil. En l'espace de quelques jours, nous avons perdu deux des nôtres, Charles Wattelle, conseiller général du canton de Wassigny, et Michel Boudsocq, maire de Ohis et vice-président de la communauté de communes des Trois-Rivières. L'un et l'autre n'étaient pas pour moi des amis, encore moins des copains (mot que je déteste), mais des camarades, terme vrai, juste et qui se suffit à lui-même : un camarade, c'est quelqu'un avec lequel on partage les mêmes idées au point d'appartenir à la même organisation, et qu'on rencontre de temps en temps. Ainsi étaient mes relations avec Charles et Michel, tout en connaissant mieux le premier que le second.

Charles Wattelle m'a toujours intrigué : comment peut-on être thiérachien, socialiste et yogi ? Au parti socialiste, on trouve de tout, mais surtout des enseignants. Professeur de yoga, c'est rare. Cette discipline orientale, faite de sagesse, de relaxation et de maîtrise de soi, n'est pas forcément compatible avec la politique, univers un peu fou, très passionné et passablement énervé. Charles avait réussi la synthèse, comme on dit chez nous. J'imaginais volontiers, dans ma fantaisie, la section dont il était secrétaire, à Wassigny, se mettre en position du lotus, contrôler sa respiration avant d'engager les débats. Et lui, Charles, je le voyais trônant au milieu, à la façon du mage dans le sketch de Pierre Dac et de Francis Blanche.

Mais là où Charles m'a vraiment bluffé, c'est en 2003, alors qu'il souhaitait se présenter aux élections régionales (il a obtenu son premier mandat assez tard, devenant conseiller général à 54 ans, en 2001). Nous étions de la même motion, majoritaire. Comme souvent en politique (pour ne pas dire toujours), il y avait une place pour deux postulants, Maurice Vatin et lui. Maurice était le candidat de Dosière et Charles celui de Balligand. En ce temps-là, je m'occupais du courant et je me demandais comment le problème allait se dénouer. Nous avons tenu réunion et, à ma grande surprise, habitué à l'ambiance saint-quentinoise faite le plus souvent de cris et d'agitation, tout s'est déroulé tranquillement, sans un mot plus haut que l'autre entre Jean-Pierre et René, avec au final la victoire de Charles, je ne sais plus trop comment.

Mais ce qui m'a frappé à ce moment-là, et qui est resté pour moi une grande leçon politique, c'est qu'à aucun moment de la réunion Charles n'a pris la parole : il est entré simple candidat, il en est ressorti, sans rien dire, conseiller régional, puisque la place était quasi éligible. Dans ma naïveté d'alors, je croyais que la politique permettait de l'emporter à coups de discours brillants et de charismatiques séductions. Mais non, au contraire : c'est le sage retrait, la bienveillante neutralité, le silence d'or qui assurent le succès, lorsqu'on est assuré du soutien de plus fort que soi. Et c'est là où je me dis que le lien, d'apparence improbable, entre le yoga et la politique, ne l'est pas tant que ça.

Si le terme existait, on aurait pu dire que Charles Wattelle était balligandiste, fidèle du député-maire de Vervins. Un signe qui ne trompe pas : il avait comme lui la même façon de porter la cravate, le noeud non pas serré mais légèrement relâché sur un col de chemise un peu ouvert, qui donne un air de décontraction (à la façon de Frédéric Taddéï le vendredi soir sur France 2, mais l'animateur va plus loin dans le relâchement). Vous ne verrez jamais Yves Daudigny ou Jean-Jacques Thomas ainsi : leur cravate est impeccablement nouée, à la classique, fermant le col et pressant le cou. Allez savoir si Balligand et Wattelle, par ce détail vestimentaire, ne manifestaient pas une certaine distance à l'égard de la politique (qui a amené Jean-Pierre à se démettre de ses mandats les plus importants alors qu'il n'a que la soixantaine).

Charles Wattelle a participé je crois une fois à l'un de mes cafés philo, mais c'est surtout son fils Jérôme qui était intéressé par la formule, puisqu'il avait créé son propre café philo à Wassigny, me demandant régulièrement de venir animer. En même temps qu'à Charles, c'est à Jérôme que je pense ce soir.

Michel Boudsocq, je connaissais un peu moins. Mais il faisait partie de ces camarades qui sont toujours présents dans les réunions fédérales, qu'on rencontre régulièrement, avec qui on discute sans les connaître intimement (mais a-t-on besoin ?). C'est surtout en tant que secrétaire de section d'Hirson que j'étais en rapport avec lui, quand il fallait aller défendre là-bas la motion majoritaire (Jean-Jacques Thomas étant au NPA).

J'ai un souvenir très personnel, un peu bête mais qui me touche beaucoup : je devais tenir à Hirson, en 2005, une réunion en faveur du Traité constitutionnel européen, que la section, NPA, ne défendait pas. Michel m'avait pourtant trouvé une salle, sans chercher à me créer des difficultés ou à jouer l'indifférent. Au dernier moment, à cause d'un empêchement, je n'ai pas pu m'y rendre : Michel Boudsocq a alors averti, par une affiche, de l'annulation de la réunion. Anecdote dérisoire et insignifiante ? Non, le geste d'un honnête homme, qui ne va pas de soi en politique quand on n'est pas tout à fait sur la même ligne (j'ai eu, depuis, la confirmation de la rareté de ce geste).

Michel, c'est le genre de militant comme on en rêve, un bon gars à qui on ne peut rien reprocher, avec qui on ne peut jamais s'engueuler. Mais il faut de tout pour faire un monde et un parti politique ... Sa valeur politique, c'est à la tête de la commune d'Ohis que Michel Boudsocq l'aura manifestée, en apportant les transformations nécessaires, en prouvant sa capacité à gérer les affaires publiques. A ce titre, il faisait partie de ces camarades modestes mais efficaces, qui ne brillent pas par le discours mais qui font mille fois mieux : ils apportent quelque chose, beaucoup de choses à leurs concitoyens. Quand la politique n'est pas ça, c'est une rhétorique narcissique, vaine et dérisoire, qui ne laisse pas plus de traces que le vent qui passe. Charles Wattelle et Michel Boudsocq auront fait des choses, l'un pour son canton, l'autre pour sa commune : quand on se fait, non sans raison, une triste image de la politique, il faudrait penser à ces deux-là, qui lui ont redonné toute sa valeur, toute son utilité et même, sans exagération, toute sa grandeur.

Les obsèques de Michel Boudsocq auront lieu le mardi 14 mai, à 14h30, en l'église Notre-Dame de Lourdes, à Hirson. Les obsèques de Charles Wattelle auront lieu le mercredi 15 mai, à 14h30, en l'église de Wassigny.

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