jeudi 9 mai 2013

Ma soirée avec Sarkozy



J'ai passé ma soirée d'hier avec Nicolas Sarkozy. Non, ce n'est pas une blague : France 3 lui consacrait deux excellents documentaires, près de trois heures d'émission. Oh, rien de nouveau, mais d'utiles rappels, des mises en perspective sur un quinquennat et un personnage hors-normes.

Le premier documentaire fait un bilan. Ce que j'en retiens, ce qui explique selon moi l'échec final, ce n'est pas que Sarkozy ait appliqué une politique "trop" à droite : chacun de nous fait ce pour quoi il est fait, un homme de droite pour appliquer une politique de droite (de ce point de vue, sa campagne de 2007 était très droitière et l'a rendu très populaire !). L'échec vient de ne pas s'être attaqué tout de suite à la dette publique, d'avoir ignoré ce problème que François Hollande prend aujourd'hui à bras le corps (et sur lequel Bayrou était l'un des rares à avoir insisté en 2007).

A revoir les images du début de sa présidence, on demeure stupéfait par les deux énormes erreurs de communication de cet hyper-communicant : le Fouquet's et le yacht de Bolloré. En revanche, l'ouverture à gauche me semble être, de sa part, une bonne idée : quand on est élu à 53% des voix, on ne gouverne pas qu'avec son propre camp, on élargit son assise (là, j'aimerais qu'Hollande s'en inspire et fasse appel au centre lors d'un prochain remaniement).

La droitisation de sa campagne en 2012, qu'on critique beaucoup, est pourtant dans l'ordre des choses : je crois franchement qu'il ne pouvait pas faire autrement, qu'il lui fallait coûte que coûte rallier les voix de l'extrême droite en lui donnant des gages de sympathie. Après tout, 47%, sa situation étant ce qu'elle était, ce n'est pas si mal. Sarkozy n'aurait pas fait mieux en recentrant sa ligne politique (et peut-être moins bien).

Ceci dit, je n'aime toujours pas le personnage et l'image qu'il renvoie de l'action politique. Cette espèce de pile Duracell sur pattes, incapable de maîtrise de soi, obsédé par l'argent, président français méprisant la langue française, compulsif, affectif, exhibant sa vie privée, cocu plaintif puis ado amoureux, non merci, mon modèle d'admiration restera toujours le sphinx Mitterrand (à qui j'ai pourtant certains reproches à adresser).

Un homme public ne doit pas confier ses souffrances et ses bonheurs, quand tant de gens souffrent aussi et désespèrent de pouvoir être heureux. Au contraire, l'homme politique est celui qui, sacrifiant sa vie privée, ne pensent et ne parlent que des souffrances et des bonheurs d'autrui. Si Nicolas Sarkozy a perdu, ce n'est pas tant à cause de sa politique (bien que très à droite, elle avait en 2007 suscité l'enthousiasme jusque dans l'électorat de gauche) que de son personnage, pas à la hauteur de la fonction présidentielle.

Le deuxième documentaire de la soirée défendait une thèse intéressante et originale : Sarkozy a toujours combattu son propre camp, qui en retour lui a fait perdre la dernière présidentielle ! C'est évidemment audacieux, un peu excessif mais assez pertinent. Sarko entre en 1983 dans la carrière en dézinguant un ponte du gaullisme, Charles Pasqua, à qui il pique la mairie de Neuilly. En 1995, il flingue son mentor, Jacques Chirac, en ralliant Balladur. Mais la balle se retourne contre lui : longtemps l'UMP s'en souviendra (jusqu'à aujourd'hui ?). Dans les années 2000, devenu ministre, il n'aura aucun égard envers le chef de l'Etat, dont il vise la place. Bref, Nicolas Sarkozy est un homme de droite en perpétuel affrontement avec son parti et la droite.

Et puis, entre la droite et lui, il y a sa psychologie qui ne passe pas : la droite est conservatrice, Sarkozy veut la rupture ; la droite tient aux convenances, il est transgressif ; la droite est pudique avec le fric, il en parle sans retenue ; la droite est bon chic bon genre, il fait parvenu et vulgaire. La droite le soutient en 2007 parce qu'elle a besoin de lui, parce qu'elle sent qu'il peut la faire gagner (en politique, l'amitié est proportionnelle à la capacité de vaincre). En 2012, elle est sceptique, elle observe son champion sans y croire, sa partie la plus modérée va même voter pour le candidat le plus modéré, le social-démocrate Hollande. Au fond, nous dit ce documentaire, Nicolas Sarkozy n'aura jamais cessé d'être un homme seul, combattu par les siens et les combattant plus qu'à son tour.

J'ai vraiment passé une bonne soirée avec Nicolas Sarkozy, parce que l'homme est fascinant jusque dans ses médiocrités, ses bassesses, parce qu'il marquera la France beaucoup plus que d'autres présidents. Pourtant, à voir cette vie consacrée à la politique, je me dis aussi que ce n'est pas une vie ! Que d'efforts pour si peu de réussites et tant d'échecs, que de pauvreté d'esprit, de haine du coeur, de frustration, d'impuissance, de fausse autorité, d'absence de liberté (un homme politique, c'est quelqu'un qui n'a pas le choix, qui est esclave des circonstances), de vanité parfois ridicule (on a l'impression à certains moments que Sarko se parodie lui-même, dans un mauvais sketch).

Le mérite involontaire de Nicolas Sarkozy, c'est qu'il nous montre la politique dans ce qu'elle a de plus gris, et qui bien sûr n'appartient pas qu'à lui : à gauche aussi, on trouve cette couleur, qui m'inspire une immense tristesse à propos d'une activité, la politique, qu'on pourrait espérer plus noble. Mais elle est comme l'héroïne : quand on cesse d'en consommer, quand on prend ses distances et qu'on observe ses effets, on prend froid, on devient triste, on s'en dégoûte, on tremble de partout, c'est terrible. Et quand on y revient, qu'on se pique, ça repart, on s'excite, on exulte, on plane, on tremble de partout et c'est terrible aussi. Alors, comment faire ?

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