dimanche 26 mai 2013

La manif pour personne



A l'heure où j'écris, la manif pour tous n'est pas terminée, les craintes de dérapages ne sont pas confirmées, mais le succès est au rendez-vous, au vu du nombre de participants. La question mérite d'autant plus d'être posée : une manif pour quoi, pour qui, puisque la loi est promulguée ? Les commentateurs parlent d'un baroud d'honneur, notion militaro-aristocratique qui n'a pas de sens en politique : j'ai souvent manifesté, mais jamais pour l'honneur ni sous forme de baroud. Alors, pour qui, pour quoi est cette manif ?

- Pas pour son égérie, son organisatrice, Frigide Barjot, qui n'en était pas, ce qui est assez surréaliste. Imaginez un défilé de la CGT sans Bernard Thibault ! Doublement surréaliste quand on sait la raison : des menaces sur sa personne, venant non pas des partisans du mariage homo, mais de ses adversaires ! Mais Barjot elle-même est surréaliste : une quinqua qui s'habille en ado, dont la création artistique la plus connue est la chanson "Fais-moi l'amour avec deux doigts", et qui devient l'emblème du peuple catho et des bourgeois UMP !

- Pas pour les républicains, qui savent qu'une loi promulguée devient la règle de la République. Certes, aucune loi n'est éternelle, mais en démocratie, ce qu'une élection a fait, seule une élection peut le défaire, pas une manifestation. Ce qui ne signifie pas non plus que cette manif est de trop : en République, aucune manifestation légale n'est de trop. A chaque fois que j'assiste à un rassemblement de rue, quel qu'il soit, même un défilé de clowns, je me réjouis : c'est ça la démocratie ! Manif de trop, non, sûrement pas, mais manif inutile, oui, c'est probable.

- Pas pour la droite, à laquelle la manif pour tous tend un terrible piège, celui de passer pour des radicaux. Ses éléments les plus modérés et les plus raisonnables, Alain Juppé et François Fillon en tête, l'ont compris et ont refusé de participer, sans rien renier de leurs convictions. J'avoue avoir été surpris que Xavier Bertrand ne se retrouve pas sur cette ligne, lui qui veut représenter une droite gaulliste, sociale, populaire, se démarquant de la droite purement réac. Mais je ne suis pas le mieux placé pour juger de ce qui se passe dans le camp d'en face.

- Pas pour l'extrême droite, même pas pour elle, qui dès le départ a été distante à l'égard pourtant d'un mouvement de masse qui rejoint certaines de ses valeurs. Une fois de plus, Marine Le Pen ne participe pas et le FN assure le service minimum. Comme si l'extrême droite sentait que son électorat n'en a rien à fiche du mariage homo ou pas, son obsession, sa peur étant ailleurs : l'immigré et l'insécurité.

- Pas pour les chrétiens, pas pour eux non plus. Cette manif d'aujourd'hui est la plus politisée de toutes, l'UMP a appelé à défiler contre la politique générale du gouvernement, pas spécifiquement contre le mariage homosexuel. Le suicide de Dominique Venner devant l'autel de Notre-Dame, pour tragiquement anecdotique qu'il soit, est cependant révélateur : cet historien flirtait avec le fascisme, était anti-chrétien et a fait de son sacrifice un sacrilège, le suicide étant pour l'Eglise un geste condamnable, et dans un lieu de culte une véritable profanation. A travers ce geste, c'est une culture de la haine et de la mort qui monte, pas celle de l'amour et de la vie véhiculée par le christianisme.

Alors, pour qui donc est cette manif pour tous qui a réuni tant de monde ? Paradoxalement, elle n'est pour personne, sauf peut-être pour une seule personne, Henri Guaino,qui s'est dit prêt à manifester "indéfiniment", comme la Lune tourne indéfiniment autour de la Terre et la Terre indéfiniment autour du Soleil, comme ces soldats japonais ont continué à se battre sur des îles désertes, plusieurs années après la reddition de leur empereur.

Les premiers mariages homosexuels seront célébrés dans quelques jours. Je souhaite qu'ils se fassent dans la discrétion qui convient à des cérémonies privées, sans exubérance ni triomphalisme, dans l'intimité qui sied à l'amour et à la famille. L'adoption de la loi dite mariage pour tous n'est pas la victoire de la gauche sur la droite, surtout pas d'une France contre une autre France. Je respecte et je comprends ceux qui ont aujourd'hui, et avant, manifesté, mais je ne partage pas leurs craintes et je n'adhère pas à leur rejet de la loi. Je compte beaucoup sur le temps, non pas pour effacer les convictions, qui demeureront, mais pour relativiser les points de vue.

Enfin, et c'est pour moi, laïque et républicain, le plus important : je tiens à rappeler que l'Etat n'est pas là pour imposer des normes morales qui relèvent de choix strictement personnels, pas plus le mariage homo qu'aucun autre type de mode de vie. On peut très bien vivre aussi sans conjoint, sans enfant et même sans sexualité. L'Etat est simplement là pour garantir des droits à tous, dans le cadre de la légalité et des valeurs républicaines. Alors, laissons maintenant les homos se marier s'ils en ont envie, et tous les autres faire selon ce que leur dictent leur conviction, leur nature et leur désir, mais passons vite, très vite, à autre chose, car la France a des sujets d'inquiétudes autrement plus préoccupants.

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