mardi 22 novembre 2011

Le mystère du mal.

Faut-il transformer un fait divers, aussi tragique soit-il, en affaire nationale, en question politique, en sujet gouvernemental ? Est-il normal qu'un journal télévisé y consacre quinze minutes ? Je ne sais pas, je m'interroge. Ne faudrait-il pas laisser la police faire son enquête, la justice faire son travail et la famille faire son deuil ? A quoi sert tout ce bruit ? Mais les faits sont là : l'opinion est traumatisée, elle cherche à comprendre et ne comprend pas.

Je crois que l'impact de ce drame, qui dépasse donc le simple fait divers, vient largement de son cadre : Chambon-sur-Lignon est une bourgade tranquille, avec son établissement scolaire aisé, dans un environnement bourgeois, sécurisé. Ce qui choque, c'est que la pire violence surgisse là où l'on ne s'attend pas à la voir, entre des jeunes culturellement proches l'un de l'autre. Le même événement dans une banlieue sordide, impliquant des paumés, aurait tout autant horrifié mais moins traumatisé.

Il y a une cause plus profonde à notre stupéfaction : la société moderne ne sait plus ce qu'est le mal, elle pense par moments l'avoir éradiqué, elle ne supporte plus sa présence, la trouve anormale. Autrefois, la religion nous parlait du mal, nous apportait ses explications, auxquelles on pouvait ne pas croire mais qui existaient. Aujourd'hui, les explications sociologiques n'arrivent plus à convaincre, et la psychologie a atteint ses limites. Que reste-t-il pour expliquer le mal ? Plus rien, sinon la fatalité ou le hasard.

Alors, nous recherchons des boucs émissaires : les services sociaux défaillants, la justice laxiste, la police inefficace, l'éducation nationale pas assez vigilante, les politiques pas assez impliqués et tout autre espèce de "dysfonctionnements". C'est évidemment un tort, une facilité : le mal ne se réduit pas à ça, c'est une réalité plus profonde, insaisissable, mystérieuse contre laquelle il faut lutter mais dont il ne faut pas s'étonner. Il est inutile de rajouter la souffrance à la souffrance.

Dans cette lutte contre le mal, nous avions jadis des rites, qui servaient à conjurer le malheur, à dépasser la tragédie en lui donnant un sens. Aujourd'hui, en l'absence des rites anciens, notre société est en quête de rites nouveaux, spontanés, qui ne se rattachent à aucune spiritualité : ce sont les "marches blanches". La rupture avec le passé est impressionnante : le deuil se parait de noir, il choisit maintenant le blanc. Le silence a remplacé les chants et les prières. La cérémonie n'est plus immobile sous un toit mais mouvante dans la rue. Le rite, hier comme aujourd'hui, c'est la réponse immédiate à l'incompréhension du mal, à son insupportable mystère.

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