vendredi 25 novembre 2011

Une vie de conflits.

Si une bonne quarantaine de personnes ont participé au café philo d'il y a quinze jours à la bibliothèque municipale, c'est la preuve que le sujet intéressait, et on comprend bien pourquoi : Le conflit est-il à la base des relations humaines ? Je veux y revenir, tellement le phénomène du conflit est partout présent dans notre vie, politique, sociale, associative, nationale ou internationale, jusqu'au sein du couple et de la famille, entre amis, en parole ou en acte, grave ou anodin, durable ou ponctuel. Il arrive même qu'on soit pris ou entraîné dans un conflit sans le vouloir. C'est à se demander si l'être humain n'aime pas ça, le conflit ! Et pourtant, nous rêvons tous d'un monde et d'une société sans conflit ...

Nous constatons aussi (ce qui renforce l'hypothèse d'un plaisir du conflit) que celui-ci peut être joué, devenir théâtral, offrir l'occasion d'une posture qui illustre un positionnement, comme on le voit souvent en politique. Le conflit alors oscille entre la tragédie et la comédie. Peut-être est-il au fond les deux à la fois ? Et puis, il y a les spectateurs du conflit, car ses acteurs apprécient qu'on les regarde. J'ai remarqué, dans ma vie associative et politique, que les salles se remplissent quand on sait ou qu'on sent que ça va se fritter. Il n'y a pas que les requins qui sont attirés par l'odeur du sang. Le conflit excite, stimule, mobilise.

Je rencontre régulièrement trois figures emblématiques de rapport au conflit. D'abord le fouteur de merde ou gueulard, assez rare mais tonitruant (et parfois carrément truand) : c'est celui qui a toujours quelque chose à dire, un problème à évoquer et jamais de solution à proposer. Il pense peu et parle fort. Je le fuis comme la peste, car il est capable de casser une assemblée de gens pourtant raisonnables et calmes. Rien n'est plus facile que de remuer la boue, il suffit d'ouvrir la bouche.

Ensuite, et à l'opposé, il y a celui qui n'aime pas le conflit, en a une sainte horreur, préfère se taire ou partir quand le ton monte, ou bien se range à l'avis du dernier qui a parlé, pour clore au plus vite le conflit. Celui-là, même si je lui porte une plus grande estime qu'au fouteur de merde, je ne l'aime pas trop non plus car son abstention est aussi une forme de pusillanimité. Il faut aussi parfois oser entrer en conflit, quand c'est nécessaire.

Enfin, mon préféré, celui que j'essaie d'être : celui qui règle les conflits, sait les débrouiller, avance des solutions. C'est un art difficile. J'ai moi aussi horreur du conflit mais je sais qu'il faut l'affronter, pas le nier. En politique ou dans la vie associative, je ne connais rien de plus beau que de parvenir à mettre fin à un conflit. La pire des attitudes, c'est de laisser un conflit pourrir, comme de mettre la poussière sous le tapis, ou de prétendre qu'il n'y a pas de conflit alors que celui-ci est larvé, souterrain mais bien présent. A tout prendre, je préfère qu'un conflit éclate au lieu d'être refoulé.

Notre société contemporaine a un comportement très ambivalent à l'égard du conflit : d'un côté elle le déteste, n'admettant pas les éclats de voix, les confrontations un peu rudes, qu'elle assimile volontiers à de la violence ; d'un autre côté elle met fréquemment en scène à la télévision des conflits de toute sorte, au sein des familles, entre voisins, ... Les jeunes parlent avec gourmandise d'embrouille, qui est leur conflit à eux. Dans l'actualité, tout ou presque tout semble sujet à polémique.

C'est assez étrange : on dirait que notre société produit du conflit en vue de le régler. Car la finalité est bien celle-ci : y mettre un terme. Nous ne vivons plus, comme il y a quelques siècles, dans un univers tragique où les conflits étaient extrêmement brutaux. L'invention et la prolifération de la figure du médiateur prouvent bien que le conflit a aujourd'hui mauvaise presse. Il faut être cool, zen, relax : la mentalité conflictuelle n'est pas très bien perçue, sinon sous forme de personnage folklorique.

Je pourrais me réjouir de cet incontestable progrès. Quelque chose pourtant m'inquiète : la résolution du conflit, évidemment bonne en soi, passe par un tiers, le fameux médiateur, quand ce n'est pas en soumettant le conflit au jugement des tribunaux. Comme si les êtres humains ne savaient plus se parler en direct, dans le face à face, l'explication franche et raisonnée. C'est la preuve qu'une forme de civilité se dégrade lorsque le conflit a besoin d'un spécialiste, avocat, psychologue ou animateur-télé pour être traité et réglé.

Je voudrais terminer cette réflexion, qui m'a été inspirée par les échanges du dernier café philo, en citant le seul conflit qui me paraisse éminemment positif : le débat contradictoire en démocratie. Je suis toujours ulcéré de m'entendre dire que les conflits entre la droite et la gauche devraient cesser, que la société irait tellement mieux si tout le monde s'unissait. Non, c'est une illusion : une scène politique sans conflit est un rêve impossible et dangereux. Le seul conflit qu'il faut proscrire absolument de la vie politique, c'est le conflit personnel, hélas trop fréquent.

Mais le pire des conflit n'est encore pas celui-là. C'est le conflit intime, le conflit avec soi-même, les propres contradictions d'un individu. C'est un conflit que j'ignore totalement, qui m'est étranger : je vis dans une relative cohérence et harmonie avec moi-même, du moins au plan intellectuel. J'ai remarqué que le fouteur de merde (ou le fauteur de trouble, si on veut être poli) est souvent celui qui projette à l'extérieur, dans son environnement, parmi les autres, les conflits intérieurs qui le minent. Ce qui me conduit à penser qu'un travail sur soi augmente considérablement les chances de résoudre un conflit.

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