mercredi 16 novembre 2011

Une chaise pour deux.

A l'issue des accords pour les prochaines législatives entre le parti socialiste, les Verts et les radicaux de gauche hier soir, nous apprenons qu'aucune circonscription dans l'Aisne n'a été réservée à un écologiste mais que la cinquième ira à un candidat du PRG, le maire de Château-Thierry et conseiller général Jacques Krabal. Ce n'est pas surprenant : le pouvoir sourit toujours aux vainqueurs, rarement à ceux qui sont battus. Krabal s'est emparé de la mairie de Château aux dernières municipales, alors qu'il pouvait rester tranquillement le premier magistrat de Brasles. Mais voilà : entre Dominique Jourdain, l'ancien maire, et lui, c'est une lutte à mort qui n'en finit pas.

M'installant dans l'Aisne il y a treize ans, j'avais été prévenu de leur rivalité. Ça n'a pas changé. A l'époque, ils étaient pourtant l'un et l'autre socialistes. Aujourd'hui, ils ne le sont plus ni l'un ni l'autre, mais leur lutte continue, entre d'un côté le radical de gauche Krabal et de l'autre l'écolo Jourdain. Politiquement, rien ne les distingue. En tout cas je ne vois pas quoi. Même leurs personnalités ne les opposent pas : dynamiques et ouverts, c'est ce que je retiens après les avoir pratiqués. Honnêtement, j'ai autant d'estime pour Jacques que pour Dominique. Serions-nous dans un conflit irrationnel ? Non, même pas : ce sont des êtres de raison, maîtres d'eux. Cependant, un fossé les sépare, depuis manifestement toujours : le pouvoir.

C'est le drame de la politique : autant les affrontements idéologiques, parfois terribles, ont néanmoins leur légitimité et leur noblesse, autant les conflits de personnes d'une même sensibilité pour s'emparer du pouvoir sont désolants et désastreux. Pour comprendre ce qui se passe à Château-Thierry, je ne vois que cette explication-là. Dès qu'une chaise est libre quelque part, dans la ville, le canton, le département, la région, Krabal et Jourdain veulent de concert s'asseoir dessus, et l'un des deux se casse inévitablement la gueule ...

Je sais bien que l'adage affirme que "le pouvoir ne se partage pas", confirmé par le scandale français du cumul des mandats. Mais ce n'est pas ma conception de la politique : quand on est républicain et de gauche, on soutient au contraire que le pouvoir se partage. Montesquieu en a fait très tôt la théorie, celle de la "séparation des pouvoirs", contre l'absolutisme monarchique. Il n'y a que la décision politique, c'est-à-dire la responsabilité, qui ne souffre aucun partage.

A Château-Thierry comme partout ailleurs, les places pourraient être distribuées entre les postulants les plus crédibles, qui ne sont pas si nombreux que ça. Pourquoi Jourdain et Krabal ne se sont-ils pas entendus, depuis longtemps, sur les rôles respectifs à jouer, comme maire, député, conseiller général ou régional ? En quoi la concertation argumentée tranchée par la délibération collective n'aurait-elle pas sa place en politique ?

Bien sûr, je fais fi de cette dimension psychologique, la soif de pouvoir, qui fait qu'on n'en a jamais assez, qu'on en veut toujours plus, qu'on ne sait pas s'arrêter à temps, qu'on va souvent beaucoup trop loin. J'aimerais qu'on pense un peu aux électeurs et aux militants, le secrétaire de section Sylvain Logerot et nos amis de Château. Ils devront maintenant soutenir quelqu'un qu'ils ont combattu et qui a fait tomber leur leader d'alors. Pas facile comme situation. Le grand perdant, finalement, ce sont les militants socialistes.

On brocarde parfois, dans l'Aisne, les socialistes saint-quentinois et leurs querelles de gaulois. Mais au moins nos conflits ne sont pas personnels : deux lignes politiques s'affrontent, respectables l'une comme l'autre, la social-démocratie et la gauche plus radicale, l'union de la gauche classique et les alliances avec l'extrême gauche. Et puis on ne peut pas nous soupçonner, les uns et les autres, de nous battre pour des chaises ou des fauteuils : ils sont tous pris à Saint-Quentin par la droite !

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