samedi 5 novembre 2011

Mimi et Isa sont en conflit.

Mon prochain café philo à la bibliothèque de Saint-Quentin s'intitulera : Le conflit est-il à la base des relations humaines ? Tout un programme ! C'est un sujet sur lequel chacun a beaucoup à dire ... Mais voilà : lisant ce matin le Courrier Picard, je tombe sur un article, signé Cyril Raineau, qui illustre parfaitement ce thème, une sorte d'expérience in vivo de conflit chez les êtres humains. Le titre est prometteur : "Grosse tempête au club d'aviron". Je vous raconte :

Pour qu'il y ait conflit, il faut au moins être deux (quoiqu'on puisse fort bien être en conflit avec soi-même) : là, c'est Michel Soignard, président du club d'aviron, et Isabelle Danjou, championne aux Jeux olympiques de Barcelone et entraîneuse. Le premier a viré l'autre : une banale histoire d'humeur, de pouvoir et de sous, comme il y en a mille dans la vie associative, qui est truffée de conflits comme la dinde de Noël est truffée de marrons (je me demande si les êtres humains n'aiment pas ça ? le conflit bien sûr, pas forcément la dinde).

Pourtant, sur les photos du Courrier, Mimi et Isa, que je ne connais pas (il m'arrive de ramer dans la vie, mais je ne pratique pas l'aviron), ont de bonnes têtes de Saint-Quentinois. Isabelle a un joli sourire qui apaise son visage et Michel affiche l'allure décontractée du sportif (quoique les petits yeux qui plissent ne laissent rien présager de bon). Le reste est une véritable saynète, un morceau d'anthologie en matière de psychologie élémentaire, bref un morceau de choix, un modèle du genre, un bon numéro pour ma réflexion sur le conflit.

D'abord, le président Soignard joue au président, méchant et menaçant comme doit l'être tout homme d'autorité qui se respecte (mais ne respecte guère le journaliste). Phase 1, l'interrogatoire policier (Raineau évoque le courrier dans lequel Soignard congédie Danjou) :"Quoi, comment avez-vous eu ce courrier ? Je veux savoir". Phase 2, l'enquête et le procès : "Je chercherai qui vous l'a fait parvenir et j'irai en justice". Phase 3, la censure : "Et d'ailleurs cette histoire ne vous regarde pas". Phase 4, le recours au roi : "Je vais appeler la mairie". Non, non, ce n'est pas un texte de mon invention, c'est à la page 9 du Courrier Picard de ce samedi !

Michel et Isabelle ont-ils au moins des explications claires et précises à fournir pour expliquer leur conflit (après tout, un conflit peut être rationnel, justifié, légitime) ? Rien du tout, c'est un conflit de l'espèce commune, une embrouille dont on perd les fils blancs et les grosses ficelles. Michel Soignard au journaliste : "Je n'ai rien à vous dire, mais il y a des cadavres dans le tiroir" (il veut sans doute dire dans le placard ; toujours est-il que pas une main ne dépasse). Isabelle Danjou n'est pas plus loquace, pas plus explicite : "Il y a des choses bien trop graves qui se sont produites à mon égard". Le langage est codé et crotté. Nous n'en saurons pas plus. Un conflit, ça fait la gueule mais ça n'est pas très bavard ...

Attention : Mimi n'est pas dans le rôle du méchant et Isa dans celui de la gentille. Un vrai conflit partage équitablement les torts, se déroule à armes égales. L'entraîneuse donne aussi du coup de pied de l'âne, en qualifiant le conseil d'administration de l'association de "pourri".

Puisque les paroles se cognent et s'envolent, y voit-on un peu plus clair du côté des écrits, puisqu'il y a cette fameuse missive que Cyril Raineau a en sa possession ? Non plus. Le motif évoqué par le président pour remercier sa championne est sibyllin : "Pour des raisons d'impossibilité de gérer le temps de présence d'Isabelle Danjou au sein du club (tâche ingrate incombant au président)". Décidément, que d'ingratitude dans cette histoire !

Et Michel Soignard termine son courrier par cette élégance inattendue, cette mansuétude toute présidentielle, cette clémence de grand seigneur : "Toutefois, madame Danjou n'est pas exclue de l'association. Elle pourra continuer à ramer et intervenir en tant que bénévole". Comme quoi la bonté n'est jamais absente de la nature humaine. Ramez, ramez, bon vent et bon courage !

Aujourd'hui aura lieu l'inauguration de la base nautique Henri-Richard, belle occasion de faire taire le conflit ... ou de le raviver. Car la grande question est celle-là : comment sortir d'un conflit ? (sachant que certains durent depuis plusieurs siècles, ce que je ne souhaite évidemment pas au club d'aviron). Comme il y aura des élus et des enfants, il serait bon de leur poser cette devinette : Mimi et Isa sont dans un bateau, Isa tombe dans l'eau et entraîne Mimi, il reste qui ? Les rames ... (rires). En vérité, il faudrait que Soignard soit un peu plus soigné dans ses propos et Danjou un peu plus enjouée dans ses jugements (ça y est, encore mon côté lacanien qui ressort, mais Jacques Lacan c'est comme Félix Potin, on y revient !).

Le conflit est-il à la base des relations humaines ? c'est samedi prochain, à 15h00, bibliothèque Guy-de-Maupassant, à Saint-Quentin. Préparez-vous à nos échanges en méditant sur cet article du Courrier, qui vaut tous les bouquins de philosophie rédigés sur ce sujet (je suis partisan d'une philosophie du fait divers ; si la presse locale m'offre une rubrique, je suis preneur)). Mais n'essayez pas d'entrer en conflit avec moi, ça ne prendra pas, un homme averti en vaut deux, Mimi et Isa.

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