jeudi 10 novembre 2011

Savelli's Day.




Sur le carton, les puissances invitantes sont la région de Picardie, la municipalité de Saint-Quentin et le lycée Henri Martin. La présence du sous-préfet officialise et solennise le rassemblement. Mais le maître de cérémonie, le deus ex machina, l'instigateur de la manifestation n'apparaît pas : pourtant c'est bien lui, Vincent Savelli, éducateur et politique, historien de formation, élu de la République. Cette cérémonie, c'est SA cérémonie : il en orchestre le protocole, le déroulement, les prises de paroles, il n'oublie rien ni personne, il ouvre et conclut.

Tout commence par un manuscrit trouvé dans ses archives personnelles, qu'il classe parce qu'il fera valoir à la fin de l'année scolaire ses droits à la retraite et quittera le lycée qui le loge depuis une éternité, CPE qu'il est : l'état-major britannique s'est installé dans les murs, peut-être même dans l'appartement de Savelli, durant deux jours, en août 1914. Historien rentré, élu rebelle, politique peut-être frustré, le vice-président de la communauté d'agglomération se saisit de l'événement, le célèbre, convoque les enseignants, les élèves, les anciens combattants, l'Etat et les représentations étrangères. La rencontre est à hauteur de l'Histoire.

Il fait froid mais il y a du monde. Monique Ryo porte la parole du maire. Deux rangées de drapeaux tricolores donnent de l'éclat et presque de la chaleur. On ne les sort que pour les grandes occasions et celle-ci, pour Vincent Savelli, l'est amplement, coincée entre l'anniversaire hier de la disparition du général de Gaulle et la commémoration demain de l'armistice de 1918. Rien n'est laissé au hasard.

Les imperfections sont minimes : le tissu qui recouvre la plaque résiste un peu au moment suprême du dévoilement, la Marseillaise interprétée par les lycéens est un peu faible et les paroles légèrement en avance sur la musique, le journaliste de L'Aisne Nouvelle s'est fait piéger par les drapeaux s'abaissant autour de lui. La présence de Daniel Wargnier, personnage local, inquiète quand les hymnes nationaux sont entonnés, par crainte d'entendre sa voix de stentor l'emporter sur les jeunes organes. Mais non, le poète tonitruant se tait, se contente à son habitude de bougonner.

Vincent Savelli est au goût du jour et le fait savoir par sa cravate, qui exhibe le drapeau du Royaume-Uni. Mieux : après un discours éloquent, il s'adresse à ses invités anglais en risquant une intervention dans la langue de Shakespeare, presque parfaite. Des collégiens se succèdent au micro pour rappeler la mémoire des soldats morts au combat. Après la minute de silence et le dépôt de gerbe devant le monument dédié aux anciens élèves tombés au champ d'honneur, c'est le verre de l'amitié qui rompt les rangs, mêle tout le monde et surtout réchauffe.

Pour Vincent Savelli, le compte à rebours de son départ d'Henri Martin a commencé, malgré lui, peut-être contre lui. En a-t-il vraiment envie ? Je ne l'imagine pas en retraité allant à la pêche ou promenant ses petits-enfants. Cet homme est un militant qui se rêve en leader, ce n'est pas un grand-père. La retraite évoque sans doute pour lui la défaite, le repli, le renoncement. Et ça, le gaulliste qu'il est le refuse.

La cérémonie tricolore d'aujourd'hui, je l'interprète comme une façon de conjurer l'oubli, de marquer la mémoire, de laisser une trace. Au milieu des drapeaux nationaux qui se lèvent à son ordre, parmi les uniformes militaires, devant des hommes et des femmes plus titrés que lui, Vincent Savelli, tendu et ému, au centre de tous les regards, reçoit en quelque sorte son bâton de maréchal, moralement bien sûr. Il est alors chef d'armée, en quelque sorte, maréchal Joffre d'aujourd'hui, une heure durant.

Pourtant, Vincent Savelli a bien peu à craindre. De l'équipe municipale, il est l'un des plus connus, depuis longtemps, vedette de la presse, et pas seulement pour ses cravates symboliques ! Il est incontournable, comme on dit en politique. Irritant pour ses compagnons, irrévérencieux à l'égard des patrons locaux de la droite, il sera tout de même présent sur la liste de la majorité municipale en 2014, largement renouvelée, je le prédis. Si Pierre André et Xavier Bertrand voulaient le flinguer, ce serait déjà fait. Si la gauche ne s'est pas refaite d'ici là, Vincent Savelli retrouvera une place honorable, à la Ville ou à l'Agglo. Qu'il ne redoute pas le temps qui passe mais qui ne l'oubliera pas.

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