samedi 14 janvier 2017

Alerte blanche



A l'heure où j'écris, le ciel est bleu au-dessus de Saint-Quentin, il y a un joli soleil et il ne fait pas si froid que ça pour un mois de janvier. Dehors, j'ai fait quelques pas : il ne glisse pas. Je n'ai pas ressenti le besoin de me déguiser en esquimau ou en cosaque. Alors, j'aimerais savoir pourquoi la météo me dit exactement le contraire depuis quelques jours ? Les deux week-end précédents, c'était le même cinéma : on me promettait du sang, de la sueur et des larmes, c'est-à-dire du vent, de la neige et du verglas. Résultat : rien de tout ça, un temps plutôt agréable, favorable à la promenade. Mais, autour de moi, des gens fréquemment inquiets, parfois affolés par ce qu'ils ont vu à la télé, entendu à la radio : l'apocalypse blanche qui approche.

Je ne sais même pas s'il faut accuser cette noble science prévisionnelle qu'est la météorologie, qui s'appuie tout de même sur des calculs, des expériences, des faits observables. Non, je mets plutôt en cause les animateurs et les présentateurs des journaux radio-télévisés, les commentaires et interprétations qu'ils font de données probablement scientifiques. Nous sommes au spectacle, toute une dramaturgie est déployée. Le film de la semaine, c'est le terrible week-end qui s'annonce dans l'enfer du froid. Même le vocabulaire employé grelotte, surtout les adjectifs : glacial, polaire, sibérien, comme si c'était à qui ira le plus loin, dans la surenchère du froid. J'ai même entendu parler d'un Moscou-Paris, qui ne qualifie pas un train transeuropéen, mais un vent. J'ai justement envie de répliquer : tout ça, c'est du vent, et des gens qui ne manquent pas d'air !

Et puis, il y a les pics (de froid) et les chutes (de température), qui donnent le vertige : on se croirait sur les montagnes russes. A moins que nous ne soyons en plein océan, avec la vague (de froid), image d'un tsunami qui emporte tout au milieu des terres. Tout ça n'est même pas exagéré, mais carrément inventé : la météo dans les médias est devenue un nouveau genre littéraire, avec son langage, ses coups de théâtre, son large public. Mais tout est faux, fictif. Bien sûr, la neige, c'est comme notre propre mort : on y pense, on en parle mais elle ne vient pas, sauf qu'un jour, elle sera là. De même, il va bien finir par neiger, venter, geler, glisser, mais pour le moment, non, rien de tout ça, ou dans d'insignifiants microclimats.

On crée la panique avec des alertes orange. Mais ça veut dire quoi, cette couleur ? Comme aux feux dans la rue : qu'il faut faire attention. C'est au rouge qu'il y a vraiment danger. Je n'entends parler que d'orange, rarement de rouge. Sauf jeudi soir, quelques heures, où le vent soufflait fort. Hier, je ne suis pas allé travailler, mon lycée était fermé. Il est vrai que le temps, magnifique, incitait à la promenade. Mais je n'ai toujours pas compris pourquoi les établissements scolaires n'ont pas ouvert. Ou alors si : pas à cause des intempéries, mais de la peur qu'éprouvent désormais les autorités administratives et politiques à ce qu'on leur reproche quoi que ce soit. Ce n'est même pas la peur de la prise de risque, puisqu'il n'y en avait aucun hier. Et comme dans les tragédies antiques où l'on sur-joue le malheur, la grippe s'est rajoutée au froid pour faire trembler dans les chaumières, avec un déballage de vocabulaire à peu près similaire.

J'ai connu l'heureux temps où l'humanité ne craignait ni le froid, ni la neige, ni même la grippe, où l'on en parlait à peine, où seuls se préoccupaient les vieux et les malades. Que se passe-t-il donc aujourd'hui ? Serions-nous tous devenus, dans nos têtes, vieux et malades ? La neige, c'est notre cocaïne, stupéfiante, excitante, déprimante, morbide. D'ailleurs, les trafiquants l'appellent la poudre, la blanche, la neige. Devant les écrans qui peuplent désormais nos existences, nous sommes hypnotisés par les images et les propos d'une soi-disant météo. Elle est notre drogue dure dans une société hyper-sécurisée, sans aventure, sans grand danger, comparé aux siècles passés. Nous vivons par procuration, à travers la télévision et les réseaux sociaux, des sentiments d'exaltation, de péril. La météo, c'est un peu notre jeu vidéo, notre reality show, mais nous nous interdisons de penser qu'il n'est pas vrai.

Autrefois, on se plaignait : la météo se trompe ! Ne vaudrait-il pas mieux dire, maintenant : la météo nous trompe ? Je rêve d'un monde où tous ces écrans, d'ordinateur et de télévision, s'arrêtent, tombent en panne. Comme on disait à l'époque où les téléviseurs étaient en noir et blanc, il y a de la neige à l'écran, avec ces petits points blancs, ces flocons qui dansaient sur fond sombre, qui indiquaient une interruption de l'image. Mais cette neige-là, pas plus que l'autre, que celle qui vient du ciel l'hiver, nous ne la supporterions pas.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

la météo c'est comme la politique: des promesses sans queue ni tête
la politique c'est comme la météo, ils s'imaginent faire la pluie et le beau temps

Emmanuel Mousset a dit…

Vous êtes injuste et envers la météo, et envers la politique.

Erwan Blesbois a dit…

Tu sembles déplorer une anxiété constitutive de la nature humaine, mais exaltée et portée à incandescence dans la modernité sous le coup du progrès, et qui s'exprime par le biais de la météo. Mais est-ce de ta part pour dire qu'avec l'idéologie du progrès les gens devraient faire preuve d'optimisme, car tout les y inciterait ? Tu te dis progressiste et tu en déplores les effets sur l'"âme" de nos concitoyens, mais faut-il lire entre les lignes que seul toi et quelques autres ont bien saisi le sens du progrès hérité des lumières, et que les autres préfèrent rester dans les ténèbres ? C'est que j'appelle de ta part "la stratégie du coup de pied au cul", si répandue au sein de l'Education Nationale, une des dernières institutions à croire encore théoriquement et ouvertement aux vertus du progrès. C'est effectivement une institution progressiste, tout comme la plupart des médias et des journaux, quand la plupart des gens se contentent d'acter un état de fait sans porter de jugement, ils suivent le mouvement c'est tout. Il faut bien reconnaître que pour une infime minorité "ça marche !" Mais refoulez l'angoisse sous pression par un bout, et elle en ressortira par une autre voie : la météo !
L'"âme" de nos concitoyens sous l'effet de plus de quatre cents ans de métaphysique occidentale, et de culte de l'individualité au détriment d'une logique collective ou socialiste ou encore intersubjective, nous a mené là où nous en sommes aujourd'hui, au point qu'un contemporain comme toi peut en évaluer l'évolution inquiétante au cours même de sa brève vie.
De mon vivant aussi j'ai constaté dans ma région des mutations anthropologiques, toujours vers le pire : des communautés soudées proches de l'idée socialiste au fond, ont disparu sous mes yeux en Bretagne sous les coups des progrès exponentiels.
Je ne constate aucune réussite anthropologique satisfaisante sous l'influence du progrès, mais seulement des réalisations technologiques remarquables que je dois bien reconnaître, des réussites individuelles égoïstes ou narcissiques sans aucune retombées sur le reste de la communauté, et surtout l'enrichissement outrancier des grands prédateurs capitalistes. Ces derniers servent désormais de modèle anthropologique de réussite au commun des mortels, qui rêve de leur ressembler, sans nullement faire preuve d'une quelconque volonté de révolte, ou bien songer à une éventuelle redistribution des richesses à l'ensemble de la communauté, pour la plupart.
Cela indique que c'est la métaphysique occidentale du progrès, née disons pour simplifier avec Descartes, qui déploie aujourd'hui toutes ses potentialités inquiétantes de manière exponentielle. Mais les prémisses d'une telle métaphysique, fondée sur l'idée d'un pur individu théorique coupé de toute relation intersubjective, étaient vouées à nous mener au résultat que nous constatons aujourd'hui, en raison même de cette coupure : pas seulement un "sentiment" d'insécurité, mais une insécurité réelle fruit de tous nos dérèglements interrelationnels.
Non, les dérèglements climatiques, l'augmentation du chômage et de la précarité salariale, et même de la délinquance ne sont pas des fantasmes. Non, la réelle dégradation de la qualité de vie, des années soixante pleines d'optimisme à maintenant n'est pas un fantasme. Oui, les rapports humains sont devenus globalement détestables, faits de défiance réciproque et de méchanceté sous-jacente insupportable...

Erwan Blesbois a dit…

...La météo est la bonne excuse pour extérioriser toutes ces angoisses refoulées, mais qui ont en réalité pour objet d'autres causes que la plupart des gens n'arrivent pas à se formuler, ou n'en font pas l'effort ou ne le veulent pas, ou bien qu'ils se formulent ainsi : "il y a quelque chose qui ne tourne pas rond !"
Le progrès accomplit désormais des mutations anthropologiques à vue d’œil, à l'échelle d'une vie humaine ; bientôt ce sera à l'échelle de fragments de vie qui n'auront plus aucune cohérence les uns avec les autres. L'humanité aura sombré alors dans un genre de folie directement issue de l'organisation libérale du marché du travail, qui conditionne les rapports entre les nations, mais également les rapports entre les hommes. Le "doux commerce" tant vanté par les théoriciens libéraux des origines, pour garantir la paix entre les nations et entre les hommes, aura fini de ruiner la Terre entière. Pour les excuser, on dira que cela partait d'un bon sentiment au fond !
Et lorsqu'il n'y aura plus aucun sens à cette logique mise en branle en Occident, et qui a désormais contaminé la Terre entière sous le "doux" euphémisme de mondialisation, alors qu'il s'agit d'une maladie comparable à la peste du Moyen âge, peut-être y aura-t-il une remise en question ou alors le néant pour l'espèce humaine.
Pour que la vie fasse sens il faut au moins le regard de l'Autre. L'idée d'une pure individualité dénuée de toute intersubjectivité, qui est à la base de toute la métaphysique occidentale et que l'on nomme aussi la subjectivité, nous mène à l'aporie que tu déplores aujourd'hui ; l’anxiété, et qui semble ne faire que s'amplifier avec le temps qui passe.
La tâche de tout philosophe digne de ce nom devrait s'assigner, et que tu devrais t'assigner, serait de refonder la métaphysique sur des bases plus saines et intersubjectives. Ou du moins, si il en est incapable conceptuellement, de dénoncer jour après jour les effets délétères du progrès quand il se fait par le biais de l'individualisme. Tout espoir n'est pas perdu, le progrès est possible si il se désolidarise de ses racines métaphysiques occidentales, qui agissent sur lui comme un programme sur lequel la bonne volonté, l'intelligence ou la prise de conscience des hommes n'a pas prise. Politiquement il faudrait songer à un progressisme d'inspiration socialiste, ce que ne fait plus la gauche progressiste aujourd'hui.
La métaphysique occidentale et le progrès qui en découle ont eu l'effet d'une bombe atomique sur ma communauté d'origine, ma famille, mes relations, elle nous a atomisés.
Bientôt les textes, puis les phrases, puis les mots, puis les lettres seront atomisés à leur tour et ne feront plus sens, la culture disparaîtra sous les ricanements sordides de nos élites pipolisées et progressistes. Alors la métaphysique occidentale aura accompli son œuvre définitive : sa propre autodestruction, en plus de détruire le monde.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Je ne suis pas un philosophe, mais un petit chroniqueur, et ce n'est déjà pas si mal.

2- Le froid n'est évidemment pas un fantasme. Mais la réaction actuelle au froid comporte une part de fantasme, quand on la compare à ce que vivaient nos grands-parents. Et ce fantasme n'est pas de bon aloi.

yvesgerin a dit…

bonjour les accidents pour assurer son travail

yvesgerin a dit…

ou bién une toiture arrachee