mercredi 25 janvier 2017

Appelez-moi "Maître"



Hier soir, à Fervaques, c'était un ballet de robes noires. Les avocats de Saint-Quentin invitaient à la rentrée solennelle du Barreau, avec présentation des vœux. La salle était pleine de la crème, du gratin, le haut du panier, celles et ceux que le Bâtonnier, Maître Philippe Vignon, appelle "les hautes personnalités", comme on parle des hauts grades maçonniques : les autorités civiles et militaires de notre ville (il ne manquait que le clergé, mais nous sommes en République). Il est heureux d'être une "personnalité", et beaucoup en rêvent. Mais être une "haute personnalité" est un plaisir rare, un privilège remarquable : c'est qu'on est homme de pouvoir et d'influence.

Maître Anne-Sophie Baert, qui termine son mandat de Bâtonnier, a fait son bilan sur un ton enjoué, un peu décalé, amusant, fidèle à sa réputation de femme imprévisible. Mais derrière l'humour, on sent une grande détermination. Maitre Vignon, dans un style plus classique, a dressé les évolutions de la profession : numérisation, justice prédictive, ubérisation du droit (mais si !), en prévenant des dérives et des dangers. Il a interpellé par deux fois une "haute personnalité" présente, le député Julien Dive, contre la création d'un tribunal départemental et contre l'inflation des lois. Maître Vignon s'est également inquiété de la prolongation de l'état d'urgence (plus long que sous la guerre d'Algérie), alors que le terrorisme ne cesse pas. Il s'est présenté, en tant qu'avocat, comme "le chevalier du droit et de la justice" (joli !), le défenseur des "pauvres" et des "plus démunis" (bravo !).

Chaque année, l'Ordre des Avocats reçoit un invité. Cette fois, c'était Alain Bauer, le criminologue qui passe souvent à la télé. Il a parlé pendant plus d'une heure sur le terrorisme. Là aussi, le ton était à l'humour, souvent acide, et même à l'anticonformisme. Bauer a le sens de la formule, et son propos se laisse écouter, agréablement, sans peine. Mais il ne ferait pas un bon avocat, tout juriste qu'il est (en droit constitutionnel) : le débit est trop rapide, le contenu très dense, on s'y perd parfois, il manque une organisation des idées. Ce qui n'a pas empêché les "hautes personnalités" de l'applaudir chaleureusement, avec raison.

La séance a été clôturée par celui que Maître Vignon a qualifié de " Bâtonnier des Bâtonniers", Yves Mahiu, qui s'est montré très critique envers la loi contre le terrorisme et la grande criminalité, ainsi qu'avec l'actuel projet en discussion, la loi sur la sécurité. Sa dernière phrase a été surprenante : "Il faut se demander si le terroriste n'est pas un résistant, à qui on fait une guerre injuste". Ainsi le veut le métier d'avocat : la défense du présumé innocent, y compris de celui qui semble indéfendable. Nous avons terminé la soirée au champagne, tandis qu'Alain Bauer dédicaçait son dernier ouvrage, "Comment vivre au temps du terrorisme", qui vient juste de sortir.

7 commentaires:

S a dit…

Vous aviez parlé de cet ancien grand maître du Grand Orient de France de 2000 à 2003 lors de votre conférence dont vous vous faîtes l'écho dans un très récent billet ?
Soit vous saviez que ce criminologue (dont parfois les conclusions sont contestées) allait venir à Fervacques soit vous êtes doté d'une prescience intéressante à observer et à développer ou encore n'est-ce que le fait dune certaine loi bien souvent évoquée, celle des séries... en cours...

Erwan Blesbois a dit…

Si je croyais encore un peu en la politique, bref si j'étais encore frais et naïf je dirais : bravo Hamon, enfin un homme de bonne volonté et un vrai socialiste ! Mais un homme qui bénéficie pour lui de l'effet de nouveauté et de l'effet de surprise.
Loin, loin de la poudre aux yeux et du libéralisme de Macron et de l'autoritarisme républicain de Valls...
Ce qui prouve qu'Emmanuel Mousset est un homme de gauche fidèle à l'esprit des lumières et du progressisme, donc finalement un partisan acharné de l'individualisme qu'il nomme liberté individuelle, à l'instar des bourgeois qui bénéficièrent de la Révolution ; mais qu'il a, Emmanuel Mousset, totalement gommé des valeurs de la gauche leur versant socialiste, là où un Hamon tente de renouveler et de mettre en valeur cette belle idée de socialisme au cœur de la gauche.

Anonyme a dit…

C'est tout ce que vous avez retenu?
Vous ne savez pas de quoi a parlé Alain Bauer?
C'est quoi l'intérêt de ce billet?

Anonyme a dit…

Un microcosme et rien de plus , avec un peu de brosse à reluire ...

Anonyme a dit…

et bien voila Monsieur Blesbois: quand vous êtes concis on peut apprécier votre jugement ( apprécier ne veut pas dire forécement approuver) ..quoique je n'ai rien compris de votre 2e paragraphe

Philippe a dit…

Les moulins à paroles !
« on » « ils » … des mots creux à force d’être vides !
Avec lesquelles on peut faire des gammes à l’infini … en voici une ...
"Il faut se demander si le terroriste n'est pas un résistant, à qui on fait une guerre injuste".
Dans ce genre de déclaration tout est dans « qui » l’on met dans le « on ».
En général les « on » sont constitués du monde restreint des dirigeants issus des dominants économiques/culturels qui consultent rarement par référendum l’ensemble des citoyens avant de faire les guerres. Ces dirigeants sont très rarement impactés dans leur chair par les attentats de ces « résistants ».

Emmanuel Mousset a dit…

Yves Mahiu a parlé de "glottes sur pattes", pour qualifier les avocats. Vous n'êtes pas très loin de lui.