jeudi 5 janvier 2017

Tuer pour ne pas mourir



800 000 canards vont être abattus. C'est un chiffre affolant. Je n'éprouve pas de tendresse particulière envers ces volatiles palmés, mais l'holocauste est si gigantesque qu'il pousse à réfléchir. C'est d'autant plus délirant que la plupart des bêtes ne sont pas malades, pas touchées par le virus de la grippe aviaire. Mais comme celui-ci est redoutable, qu'il a déjà lourdement frappé, qu'il a provoqué par le passé une véritable hécatombe, les autorités sanitaires préfèrent prévenir que ne pas pouvoir guérir. C'est la logique de la prévention, le principe de précaution.

Est-ce sage ? Oui, sans doute, d'une sagesse folle, qui prouve que notre société vit dans la peur, refuse de prendre tout risque, redoute par dessus tout la mort. Il y a quelque chose d'autodestructeur dans ce massacre de canards. C'est la politique de la terre brûlée : mieux vaut mourir maintenant et nombreux que plus tard et encore plus nombreux. Tout un secteur d'activité est contraint à se suicider. On croyait la notion de "sacrifice" disparue du monde moderne, parce que archaïque, religieuse. La revoilà, dans le contexte de notre époque, la civilisation scientifique : pour conjurer notre peur, pour écarter le danger, nous dressons d'immenses bûchers, sans bois ni flammes, mais le résultat est le même. Le bouc émissaire, dont le mécanisme a été analysé par René Girard, s'est transformé en canard émissaire. Quand on l'aura sacrifié, les dieux seront rassasiés, nous serons tranquilles pendant un certain temps, avant de devoir recommencer.

A 13h00, sur RTL, une auditrice a appelé pour dénoncer le scandale et prendre la défense des "pauvres canards". Elle a fait remarquer que les agriculteurs, comme d'autres professions, étaient atteints par une vague de suicides, que le carnage des canards justifiait que certains agriculteurs mettent fin à leur tour à leurs jours (elle ne l'a pas dit exactement comme ça, mais l'idée était bien celle-là). Il n'y a pas que la grippe aviaire qui soit un virus : la folie aussi. L'obsession de la mort provoque l'obsession de la mort. Nous sommes entrés dans la danse infernale et morbide des canards.

1 commentaire:

P a dit…

Comme par hasard, on n'a songé à exterminer ces palmipèdes (halte ! Qu'on ne touche pas à celui qui se veut enchaîné !) que les agapes de Noël et Nouvel an achevées...
Le virus n'était donc pas virulent encore à la mi-décembre !