jeudi 26 janvier 2012

Faites-moi un signe.

A la suite de l'accident provoqué par un motard escortant Nadine Morano et François Fillon, la responsable de la Ligue contre la violence routière a utilisé l'étrange expression de "signes extérieurs de puissance" pour qualifier le cortège ministériel, sa grande vitesse et ses sirènes hurlantes. Je connaissais les signes extérieurs de richesse, mais pas de puissance. Du coup, quelques réflexions me sont venues à l'esprit à propos de cette formule inédite.

La richesse laisse facilement voir des signes extérieurs puisqu'elle se traduit matériellement par des biens. En revanche, la puissance est un concept abstrait qui ne renvoie à aucun signe particulier qui soit flagrant, sauf en monarchie la couronne, le sceptre et le trône. Mais en démocratie ? Comment montrer à l'autre qu'on détient le pouvoir ? Remarquez bien que la responsable de la Ligue contre la violence routière a dénoncé des signes extérieurs de puissance, pas des signes extérieurs de pouvoir. La puissance c'est le pouvoir qui s'exhibe, ostentatoire.

Mon expérience me fait penser que tout individu qui dispose d'une part de pouvoir veut le faire savoir et qu'il existe quelques signes extérieurs à cet effet. Dans l'activité professionnelle, nul besoin de signes : le métier se suffit à lui-même sans nécessité à l'extérioriser. Mais le pouvoir est une réalité tellement diffuse et contestable que des signes doivent lui donner vie et réalité. Je repère cinq signes extérieurs de pouvoir (et donc de puissance), présents à n'importe quel niveau, quelle que soit l'importance du pouvoir :

1- Le titre : grâce à lui, l'homme de pouvoir se distingue de la masse, des anonymes, de ceux qui n'ont pas le pouvoir. Une carte de visite chargée de titres en impose. Leur signification n'a strictement aucun importance. Ce n'est pas la fonction qui compte, c'est l'étiquette. Les noms sont souvent aussi ronflants qu'un titre nobiliaire ou qu'un haut grade maçonnique. L'essentiel est qu'ils impressionnent.

2- La cravate : même si la mode est moins impériale que naguère, le costume-cravate continue de figurer l'homme de pouvoir, indécrottablement endimanché. Un bout de tissu qui pend sur la bedaine et un quidam devient un autre homme. Sa flèche dirige vers le sexe (je laisse les psy faire sur ce point leur travail) mais c'est la tête qu'elle rehausse. En costume-cravate, un homme est plus grand qu'en jean et col roulé.

3- La place : l'homme de pouvoir, dans une réunion publique, a sa chaise réservée, aussi dure à ses fesses que n'importe quelle chaise, mais réservée et devant de la scène, en tête de l'assistance, avec parfois son nom ou son titre accrochés au dossier, ce qui change tout. Pas question que la puissance se dilue en allant s'asseoir n'importe où, au milieu de n'importe qui.

4- Le bureau avec secrétaire : à ce stade, nous entrons dans le coeur de la puissance. A défaut de palais, un bureau lui suffira et un fauteuil en cuir tout confort, pivotant, fera office de moderne trône. L'homme de pouvoir a besoin d'exercer son pouvoir sur quelqu'un : la secrétaire est là pour ça, payée pour ça. Elle lui est aussi précieuse que son téléphone mobile multi-fonctions.

5- La voiture avec chauffeur : c'est le must, le signe extérieur de puissance qui fascine et irrite le plus le pékin. La puissance n'est pas statique mais dynamique, énergique : elle doit bouger, circuler. Les chaises à porteurs et ses laquais, les carrosses et ses cochers n'existent plus mais les voitures de fonction avec chauffeur ont pour tâche de donner à la puissance son lustre. Le pékin conduit lui-même son engin, l'homme de pouvoir ne touche pas le volant, se fait transporter.

Il doit bien s'ajouter à ces signes extérieurs de puissance quelques autres. En tout cas, le pouvoir est chose trop fragile, trop ingrate, parfois trop pauvre pour que les hommes puissent se passer de ces signes qui les identifient. Sinon le roi ou nos roitelets seraient à poil. Nous devons nous en amuser et peut-être avoir pitié.

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