samedi 28 janvier 2012

L'homme de fer.

En regardant François Hollande jeudi soir à la télévision, j'ai pensé à Lionel Jospin. Non pas parce qu'ils se ressemblent : au contraire, ces deux candidats socialistes à la présidentielle sont opposés. Mais parce que j'ai compris pourquoi l'un avait perdu en 2002 et pourquoi l'autre pouvait gagner en 2012. Le déclic est venu d'une petite phrase, d'une image : à la question de savoir si Hollande avait l'impression de fendre l'armure comme Jospin dix ans auparavant, il a répondu que non, qu'il n'avait pas fendu mais revêtu l'armure. C'est là où j'ai tout compris.

En politique, il ne faut pas fendre l'armure. D'abord une armure ça ne se fend pas, ce n'est pas le bois qu'abattent les bûcherons, c'est du métal. Et puis une armure c'est un vêtement de guerre, une protection contre les coups durs : la politique en a l'utilité, elle ne peut pas s'en priver. Le jour où Lionel Jospin a déclaré avoir fendu l'armure, il a sans doute complu à la psychologie qui nous demande de nous livrer, mais sûrement pas à la politique qui exige de se dissimuler (François Mitterrand le savait et le faisait très bien). L'animal politique est une bête à carapace. Le roi n'est jamais nu, sinon il devient vulnérable. Jospin en 2002 a cédé à tous ceux qui le présentaient idiotement comme un psycho-rigide. Il est mort au moment même où il a renoncé à l'armure.

François Hollande a en tête cette défaite-là, comme il a en tête la victoire de François Mitterrand en 1981. On le présentait comme mou, indécis, arrangeant ? Son physique de petit gros jovial renforçait cette fausse opinion ? Il s'est transformé en homme de fer, en homme de guerre, il a enfilé l'armure comme d'autres rechargent leur fusil ou montent sur leur cheval. Hollande sait que le combat sera rude, il se doit d'être chevalier à fléau et bouclier.

Comme au Moyen Age, il a situé l'affrontement au niveau de l'honneur, celui qu'aurait Nicolas Sarkozy à ne pas vouloir perdre et le sien sans doute à vouloir gagner. Il se sent porté, c'est certain, et nous le sentons aussi avec lui depuis quelques jours : François Hollande a désormais la possibilité de devenir président de la République. Mais rien n'est fait, tout peut encore basculer dans les prochaines semaines. La droite lui reproche son arrogance. Elle a tout faux, elle confond arrogance et assurance, prétention et fierté.

L'armure de François Hollande, c'est aussi ce corps qu'il a libéré des mauvaises graisses, qu'il a forgé par la volonté, qu'il a en quelque sorte sculpté pour la bataille médiatique. Nombre de Français(e)s se reconnaîtront dans cet effort-là, à l'heure des régimes alimentaires et sportifs qui eux aussi sont de fer. Ridicule ou secondaire ? Non, la politique exige de se durcir de corps et d'esprit. Pour lutter contre l'adversaire et le vaincre, il faut commencer par se vaincre et se dominer. Être soi-même, comme nous y invite la psychologie moderne, ça ne veut rien dire : on n'est jamais soi-même quand les autres sont là, devant nous, contre nous. Même devant le miroir, on n'est pas vraiment soi-même. Rien ne vaut décidément une bonne vieille armure pour face face à la vie et aux échéances politiques, sans oublier une lance et une épée à ses côtés.

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