dimanche 15 janvier 2012

Des voeux plein les yeux.

La cérémonie des voeux est un genre à part entière dont la France est championne du monde. Jusqu'à la fin janvier, les agendas sont en surchauffe : tout ce que le pays compte de gens plus ou moins importants se sent le devoir de présenter solennellement ses voeux comme on lance des fleurs au public. Et celui-ci généralement aime ça puisque les salles sont garnies, amuse-gueule et champagne aidant à faire passer les discours. Cette présence est méritante : on n'apprend rien ou pas grand-chose, parfois même on s'ennuie mais il faut en être, c'est l'essentiel.

La presse locale rapporte ce qui se passe dans ces assemblées où il ne se passe rien. Villes, villages, établissements, associations c'est la totale ... et c'est passionnant. Mine de rien, on peut tirer pas mal de choses de ce néant plein de politesses et de conventions. Ainsi j'ai pu remarquer cinq figures de style dans le déroulement des voeux, cinq choix qui ne sont pas anodins :

1- Précoce ou tardif : c'est la question du bon moment, de l'instant opportun, avec ses deux écoles, ceux qui pensent qu'il faut devancer tout le monde, être parmi les premiers, début janvier, ceux au contraire qui estiment qu'il faut laisser passer la déferlante et se concentrer sur la fin de mois. Xavier Bertrand est de la première école, il opte pour le premier vendredi du mois ; les socialistes saint-quentinois appartiennent à la seconde école, présentant leurs bons voeux le 28 janvier. Qui a raison, qui a tort ? Qui est efficace, qui ne l'est pas ? Cette querelle tacticienne n'est pas close. Le Parti radical de gauche dans l'Aisne a une position originale et forcément radicale : il organise sa cérémonie en début ... février. Et s'il me venait à l'esprit, pour mes voeux associatifs, de faire ça à la mi-août ?

2- Court ou long : les voeux de Pierre André étaient relativement brefs ; ceux de Xavier Bertrand sont un peu plus longs. Là aussi le choix se discute, deux paramètres sont à prendre en compte : les oreilles qui se sont déplacées exprès doivent en avoir pour leurs frais mais les jambes qui font le pied de grue méritent la pitié ... et la concision. Jean-Jacques Thomas est dans la durée ce que les radicaux de gauche axonais sont dans la date : un original, un provocateur puisque le maire d'Hirson tient en haleine son public entre trois et quatre heures, avec un hausse tendancielle du temps de discours d'année en année. Les adversaires et les moqueurs le comparent volontiers à Fidel Castro en prolixité. Peut-être le prend t-il pour un compliment ?

3- Debout ou assis : c'est le dilemme entre liturgie orthodoxe (les fidèles sont debout dans l'église) et messe catholique (il y a des rangées de chaises). Certes la présence de sièges est rassurante pour les jambes mais inquiétante pour les têtes : c'est le signe que le discours va être long. Je crois remarquer, en observant les photos des journaux, que la position debout est la plus répandue. Mais il en va comme des positions amoureuses : c'est la diversité qui compte et le plaisir doit être grand puisque ses adeptes sont nombreux au rendez-vous.

4- Seul ou à plusieurs (là je ne me permettrai pas de faire un parallèle avec l'ébat intime) : normalement les voeux du maire ne sont prononcés que par le maire, avec un fond d'élus, en brochette ou en demi-lune. A Saint-Quentin, Xavier Bertrand fait carrément monter toute son équipe, et même un peu plus, sur scène. Mais pas question que les figurants parlent : le pouvoir ne se partage pas, l'allocution des voeux encore moins. Le premier magistrat de la commune doit tenir son rang, rester le premier et l'unique, en toute souveraineté. Mais certains maires se laissent aller à des pulsions démocratiques. Ainsi Danielle Lanco, à Flavy-le-Martel, a été suivie dans ses voeux par cinq autres personnalités, forcément toutes aussi importantes les unes que les autres : le vice-président du conseil général de l'Aisne Roland Renard, la vice-présidente du conseil régional de Picardie Anne Ferreira, le sénateur Yves Daudigny, la députée Pascale Gruny et le sous-préfet Jacques Destouches, rien que ça ! Mais comment fait Danielle Lanco pour attirer tant de beau monde ? Résultat des courses (car nous sommes dans un marathon) : une heure de discours et Jean-Jacques Thomas, à un contre six, toujours pas battu !

5- Consensuel ou polémique : normalement, quand on se souhaite une bonne année et plein de choses qui vont avec, l'harmonie devrait l'emporter, la paix, l'amitié, la joie. Mais non, cette chienne de politique reprend vite ses droits : sous-entendus, bisbilles, incidents ne sont pas à exclure, d'autant que la période est propice : "Touche de nouveauté cette année, jamais on n'a vu autant de politiques à toutes ces cérémonies. Ah oui, est-on naïf, 2012 sera marqué par des élections", remarque Cyril Raineau dans le Courrier Picard de ce matin. A Jussy, il y a eu une embrouille et à l'hôpital de Saint-Quentin Xavier Bertrand aurait visé Anne Ferreira en disant : "Une élue m'a reproché que le ministre de la Santé avantageait Saint-Quentin" (rapporté par L'Aisne Nouvelle de ce week-end). Ces deux-là, qui vont s'affronter aux élections législatives, se marquent de plus en plus à la culotte, jouent au chat et à la souris. Pour l'instant, c'est XB qui donne des coups de patte. Mais tout est provisoire en politique : une souris ça mord aussi.

Je me moque gentiment, je m'amuse parce que c'est de mon âge, la cinquantaine, mais soyons honnête : moi aussi j'ai succombé à la cérémonie des voeux, j'ai présenté comme chaque année les miens aux salariés de la Ligue de l'enseignement de l'Aisne (la FOL) dont je suis président depuis huit ans. J'ai donc dû à mon tour faire des choix entre les figures de style : je m'y suis pris très tôt (le 3 janvier), j'ai fait court (cinq bonnes minutes), les salariés étaient debout, j'ai donné la parole à deux élus et à notre directeur, l'ambiance était sympathique, pas conflictuelle. Voilà c'est dit, bonne année et tenez bon jusqu'au 31 janvier !

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