dimanche 22 janvier 2012

Que vous dit cette tête ?




On aura beau faire et beau dire, s'en plaindre ou le regretter : la politique c'est d'abord une personne, donc un visage (pas seulement bien sûr). La tête passe avant ce qu'il y a dedans, les idées. Celle de François Hollande, sur l'affiche qui annonce son premier grand meeting présidentiel aujourd'hui au Bourget, que vous inspire-t-elle ? Le philosophe Emmanuel Lévinas développe toute une théorie du visage comme signe d'humanité, découverte et compréhension d'autrui. Que vous apprend la tête de François Hollande ? C'est important une tête en politique : c'est un chef, aux deux sens du terme. Et quand on veut être efficace, pas une seule doit dépasser sauf celle-là.

L'affiche est sobre, comme l'homme : costume sombre sur fond blanc. Pas de fioritures, même pas de slogan : ecce homo, voici l'homme, c'est tout. L'homme de la situation ? Ce n'est pas les socialistes qui en décideront mais le peuple français. Pas de sourire non plus, dans une époque où il est de bon ton de montrer ses dents jusqu'aux oreilles : l'homme ne cherche pas à plaire, à séduire. Il est là, tout simplement, prêt, disponible.

Cette tête porte des lunettes, ce qui est rare en politique (on se souvient des grosses montures de Chirac et Mitterrand, mais il faut remonter aux années 70-80). Aujourd'hui, la coquetterie a gagné même les hommes, qui ont recours aux lentilles. Pas Hollande, qui n'a rien à cacher : pourtant, ses lunettes sont discrètes, presque fondues dans son visage. Elles sont faites pour voir mais on les voit à peine.

Derrière les verres, le regard est doux, pas insistant. Au dessus, le front est large, les cheveux perdent du terrain. C'est une tête toute en hauteur. Un petit tiers du visage est dans une légère pénombre. Ce n'est pas à proprement parler une bonne tête (sa tête joufflue d'avant, oui) mais une tête tranquille (prélude à la force tranquille mitterrandienne ?), une tête paisible. D'elle se dégage immédiatement une impression de sérieux. Ce visage est commun, ordinaire : c'est votre conseiller financier, votre chef de service, le voisin du pavillon d'à côté, un cadre moyen, le cousin qui a réussi et qu'on invite de temps à temps à dîner. On confierait volontiers à cette tête-là son argent, ses enfants et les clés de l'appartement.

A-t-il la tête de l'emploi (présidentiel) ? Ce sont les Français qui le diront dans trois mois. La démocratie serait tellement plus simple, et bien peu démocratique, si seuls les militants choisissaient ! En tout cas, François Hollande ne sera élu que si la majorité des électeurs éprouvent un puissant désir de normalité, de social-démocratie rassurante, après cinq années de rupture et de transgression. En poussant un peu (mais quand même un peu trop), je me demande si l'alternative ne se fera pas paradoxalement entre un conservateur de gauche qui rassure (en protégeant les acquis sociaux) et un réformateur de droite qui inquiète (en voulant adapter la société au monde tel qu'il est). Le désir de socialisme n'est sans doute pas à l'ordre du jour (hélas) mais le désir de normalité oui. "Candidat normal", c'est ainsi que se présentait François il y a quelques mois.

Avant ce visage, il y a eu d'autres visages de camarades qui m'ont marqué, avec à chaque élection présidentielle une particularité, un trait qui se détachait : le sourire éclatant et permanent de Ségolène, jusque dans la défaite ; les yeux légèrement globuleux, le regard très clair, quasiment transparent de Lionel Jospin qui venait vous chercher quand vous le regardiez. Nicolas Sarkozy, ce n'était pas un visage qu'on retenait mais un corps en mouvement, la tête donnant l'impression de suivre les jambes. Chez François Hollande, rien de tout ça, rien qui ne surgisse : seulement un visage qui se donne à voir, aucune originalité, pas de signe distinctif qui viendrait perturber sa normalité. Hollande, ça pourrait être chacun d'entre nous, Français moyens.

On le compare souvent à l'autre François, Mitterrand, et paraît-il qu'il en joue. Je ne crois pas qu'un homme aussi sérieux soit très joueur. Si ressemblance il y a, elle est fortuite ou d'apparence. Dans la gestuelle peut-être ... Le verbe est parfois amusant, mais dépourvu de cette cruauté mitterrandienne qui en faisait son charme vénéneux. Surtout, le visage est trop lisse, trop fin. Chez Mitterrand, il exhibait les stigmates de l'âge, des épreuves et des défaites comme autant de blessures de guerre.

L'homme du 10 mai 1981 avait la face tragique ; Hollande non. Sa tête n'est pas assez creusée, ridée, crispée, typée. Par dessus tout, il lui manque ce port altier, ce cou souverain, ce front de majesté qui faisaient de François Mitterrand un roi et puis un "Dieu". Tout le visage du président socialiste, de la prunelle des yeux à la commissure des lèvres, exprimait une ironie retenue devant cette comédie humaine qu'est la politique. François Hollande n'est pas comme ça : sérieux certes mais sympa, une tête pas sévère, pas méchante.

En matière de visage, il ne faut pas se fier aux apparences. Cette tête que vous voyez là, en vignette, a été travaillée plus que n'importe quelle autre tête politique. Mitterrand s'était fait limer les dents, une broutille. Hollande a fait beaucoup plus et beaucoup mieux : il s'est refait une tête, amincie, rajeunie, posée, maîtrisée. Un peu comme les empereurs autrefois se faisaient sculpter un buste à leur avantage. Sauf que celui de François est taillé dans la chair, pas dans la pierre. Une tête de président ?

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