lundi 2 janvier 2012

Trois voeux pour la République.

Un professeur de philosophie a l'avantage de découvrir, à travers les dissertations de ses élèves, la pensée commune des jeunes qui ont autour de 17 ans aujourd'hui, qui s'apprêtent donc à devenir des adultes, qui ont déjà des idées très élaborées, parfois toute faites. Ainsi, corrigeant hier des copies sur le sujet "Faut-il aimer la vérité plus que tout ?" je tombe sur cette phrase dans le devoir de Mélany, qui me fait inévitablement sursauter : "Il est devenu rare de trouver un homme politique parfaitement honnête et sincère".

C'est évidemment faux, injuste, outrancier même si le "parfaitement" pousse l'exigence très haut, à un niveau inaccessible. Il n'empêche que ce point de vue, fréquent dans les travaux d'élèves, est préoccupant, inquiétant quant à leur devenir de citoyens, d'électeurs. Comment la République saurait-elle fonctionner dans une telle défiance, un regard si négatif porté sur sa classe politique ? Je me suis contenté de mettre en marge de la dissertation de Mélany un sobre "préjugé" qui l'amènera, j'espère, à réfléchir ... Par ailleurs son travail est correct puisque je lui ai attribué la note 11.

Il ne suffit pas de se désoler de l'état de la jeunesse, d'autant qu'il est aussi celui d'une majorité de l'opinion à propos de ses hommes politiques. Il faut réagir, corriger, non pas à travers de beaux discours ou des leçons de civisme mais en montrant l'exemple : en politique je ne crois qu'à la force de l'exemple. C'est pourquoi j'émets trois voeux en direction des hommes politiques, petits et grands, locaux et nationaux :

1- En finir avec l'insupportable cumul des mandats, non pas par la loi (un débat politiquement compliqué, des points de vue différents et tous légitimes) mais par l'état d'esprit : quand un homme dispose d'un mandat important, il devrait s'y consacrer tout entier, exclusivement, et ne pas chercher à en conquérir un autre. C'est une demande forte et ancienne de l'opinion, qui si elle était satisfaite modifierait profondément l'image que donnent d'eux-mêmes les femmes et les hommes politiques de notre pays.

2- La politique est une pédagogie qui passe par l'art et la maîtrise de la parole. On n'imagine pas à quel point bien des discours politiques, par ailleurs excellents, sont obscurs, abscons, étrangers à la perception du plus grand nombre. Une logorrhée contemporaine, mélange de vocabulaire technocratique et de langage à la mode, est inaudible, insupportable à la plupart des citoyens. La rhétorique classique, à la de Gaulle ou à la Mitterrand, a été abandonnée, jugée vieillotte. J'aimerais qu'on y revienne. Il faut aussi des hommes politiques qui parlent à notre coeur et pas seulement à notre raison. Je déplore que leurs interventions fourmillent de chiffres qui finissent par ne plus vouloir rien dire et soient au contraire pauvres en métaphores.

3- Notre classe politique doit cesser de faire des classes moyennes, de la mentalité petite-bourgeoise leur boussole. Les thèmes, les préoccupations du débat politique s'alignent sur ces fameuses et fantasmatiques "classes moyennes", qui sont le Saint-Sacrement de l'activité publique. Leurs moeurs se sont partout répandues. Il faut rompre avec cette "pensée unique" sociologique, remettre à leur place ce ventre mou et cette tête vide que sont les classes moyennes. L'oublié, le grand refoulé de la politique contemporaine ce sont les classes populaires, que certains chercheurs ont qualifié d' "invisibles" tellement on en parle peu, puisqu'elles n'exercent aucune hégémonie culturelle, puisqu'elles n'ont aucune reconnaissance dans l'idéologie officielle. Pourtant, les catégories qui souffrent le plus dans notre société sont de ce côté-là.

Le problème, c'est que les classes populaires sont rarement représentées dans les grands partis politiques français. C'est politiquement très grave. Historiquement, la République est un régime bourgeois, s'appuyant au XIXème siècle sur les couches les plus éclairées de la bourgeoisie. Les ouvriers en étaient alors exclus (ils penchaient pour l'anarchisme ou le socialisme révolutionnaire) ainsi que l'immense classe paysanne, qui soutenait elle les partis conservateurs. C'est au cours du XXème siècle que la République a fini par intégrer les classes populaires, qui ne lui étaient pas au départ acquises.

Aujourd'hui, nous assistons à un mouvement inverse, très lent lui aussi : les classes populaires se détournent de la politique, rejettent violemment les hommes publics et se tournent vers les anti-républicains les plus anciens et les plus conséquents, l'extrême droite, ou bien disparaissent dans l'abstention. C'est périlleux pour la démocratie. C'est pourtant remédiable, si les hommes politiques répondent aux trois voeux simples que je viens de prononcer, des voeux pour la République. Alors peut-être que Mélany et ses camarades n'écriront plus dans leurs dissertations de philosophie qu' "il est devenu rare de trouver un homme politique parfaitement honnête et sincère".

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