vendredi 13 janvier 2012

Le ver est dans la rose.




"Marine Le Pen ne dit pas que des choses fausses". Je suis tombé sur le cul, excusez-moi de l'expression, quand j'ai entendu un camarade me dire ça ce matin. Je sais bien que nous sommes un vendredi 13, mais il paraît que ce n'est pas nécessairement un signe de malheur. La preuve que oui ! Ce camarade est socialiste certifié, je n'en doute pas. Et pourtant cette petite phrase jetée négligemment, au détour d'une conversation, à la façon d'une évidence, presque d'une banalité, m'a fait froid dans le dos. Ce pourrait-il que lui, dans le secret de l'isoloir, le rideau tiré, personne ne pouvant le voir ... Mais non, je n'arrive pas à le croire, j'écarte de ma pensée l'horrible hypothèse.

J'en fais peut-être trop, j'exagère, je m'inquiète pour rien, je dramatise inutilement : après tout, sa formule n'est pas si terrible que ça, quand on y réfléchit bien. Oui mais voilà : en politique, il ne faut pas trop réfléchir, tout est question d'instinct, de sensibilité. Oui c'est vrai, en cherchant bien on peut affirmer sans se tromper que "Marine Le Pen ne dit pas que des choses fausses". D'ailleurs mon camarade reconnaît implicitement, dans son propos, que la candidate du Front national "dit des choses fausses", ce qui est rassurant de lucidité. C'est sa réserve qui m'embête : car qu'est-ce que Marine Le Pen pourrait-elle dire de vrai, selon lui ?

Et puis, pourquoi faire cette précision, qui vaut pour n'importe qui, pour n'importe quel autre leader politique ? Sarkozy lui aussi ne dit pas "que des choses fausses". Mais le camarade s'est fixé sur Le Pen : c'est elle qui l'intéresse, manifestement. D'autre part, le problème n'est pas tant de savoir si Marine Le Pen dit "des choses fausse" ou pas mais des choses bonnes ou dégueulasses. Or, quand on est de gauche (et même de droite), on ne doit pas hésiter : la pensée du Front national, son programme, ses slogans méritent d'être immédiatement disqualifiés, condamnés. Mon camarade n'en est plus là, et c'est effrayant. Je sens que la petite porte s'est ouverte, que le ver s'est tranquillement installé dans la rose. Je t'en ficherai, moi, des "Marine Le Pen ne dit pas que des choses fausses" !

Amis de gauche et de droite, républicains de diverses sensibilités, je vous le dis tout haut : j'ai très peur, je sens le poison de l'extrême droite se diffuser dans toute la société française, y compris jusqu'aux milieux progressistes, où l'on devrait normalement n'avoir pas la moindre indulgence avec la fille Le Pen et ne jamais prononcer cette phrase ambiguë, vicieuse, douteuse, "Marine Le Pen ne dit pas que des choses fausses". Le père avait une tête et des mots de facho, ce qui faisait barrage à la séduction, quoique très relativement. Mais la belle petite gueule de la blondinette, son honorable métier d'avocat, son discours moderniste de plus en plus emprunté à la gauche, toute cette image risque de faire des ravages dans les milieux populaires, dans l'électorat progressiste.

Décomplexé, dédiabolisé, banalisé, reconnu et désormais respectable, voilà hélas ce qu'est devenu le FN aux yeux de nombreux électeurs au départ hostiles, maintenant attentifs, pourquoi pas compréhensifs à son message. C'est ainsi qu'on en vient à déclarer, sans prendre conscience de l'énormité, que "Marine Le Pen ne dit pas que des choses fausses". Et demain que dira-t-on ? Que "Marine Le Pen dit pas mal de choses vraies". Et après-demain ? Qu'on songe à voter pour elle, lâchement, sans rien dire à personne. On va où, jusqu'où comme ça ? J'ai peur. Une odeur de fosse septique monte des tréfonds de la société française. J'ai trop été traumatisé par le 21 avril 2002, dix ans déjà, je ne veux pas revoir le même scénario en pire. Je dédie cette affiche du dernier numéro de l'excellent Charlie hebdo, en vignette, à ce camarade qui m'a tant fait peur aujourd'hui. A son tour d'être traumatisé, s'il a encore une conscience de gauche !

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