dimanche 30 octobre 2011

Baston à la Bastille.

J'ai passé ma journée à Paris, invité le matin à animer la séance du prestigieux café des Phares, place de la Bastille, le premier café philo créé au monde, qui fêtera l'an prochain son vingtième anniversaire. C'est la quatrième fois que j'ai eu ce redoutable honneur, la tâche n'étant pas si facile, malgré mes treize années d'entraînement dans l'Aisne ! Manager quatre-vingt personnes, organiser les prises de parole, respecter le délicat équilibre entre l'expression du public (indispensable) et les commentaires de l'animateur (attendus), ce n'est pas simple. Ajoutez à ces difficultés la durée de la rencontre (1h45) et vous avez la mesure du défi. Mais quel plaisir de s'y frotter !

J'ai débuté en rappelant qui j'étais, en parlant de Saint-Quentin et de l'Aisne (Xavier Bertrand et Yves Daudigny devraient m'être reconnaissants !) et j'ai terminé sur le trottoir (non, ce n'est pas ce que vous croyez), discutant devant les Phares, après la séance, avec les participants, qui apprécient ce moment informel de libres échanges, à la façon du prêtre qui s'entretient avec les fidèles à la suite de la messe sur le parvis de son église.

Les sujets sont proposés par l'assistance, à charge pour l'animateur d'en retenir un qui l'inspire tout particulièrement. C'est donc un travail sans filet, sans préparation : je suis condamné à improviser. Le plus dur n'est pas ce qu'on croit, la gestion du débat, mais le choix du sujet, forcément embarrassant quand une quinzaine sont suggérés.

Parmi eux, ce matin : Comment définir le mal ? Autrui est-il mon semblable ? La parole a-t-elle encore un avenir ? et même celui-ci, inattendu, incongru : tagada pouet pouet ! C'est la tradition iconoclaste des Phares, dans la veine de l'école des Cyniques. Une fois, j'ai entendu un très provocateur : Dieu est-il pédophile ? Ça déchire, comme disent les jeunes, mais c'est plus sérieux qu'on ne pense ...

Ne voulant pas ajouter la difficulté à la difficulté, j'en suis resté à un sujet plus sage mais néanmoins intéressant : admirer, est-ce juste ? pour conclure en substance qu'un homme n'admirant rien ni personne serait un bien triste individu, mais qu'aussi l'admiration est un sentiment passif, un regard soumis dont il faut s'émanciper avec l'âge, le pire étant chez celui qui cherche à se faire admirer.

Après le café philo, je suis allé dans un café sans philo prendre un café et ... regarder : place de la Bastille, c'est un vrai spectacle pour les yeux, Paris tout craché, et je n'ai pas été déçu. Le passage des passants, la ronde des automobiles, la bande de patineurs et même un groupe de manifestants, tout ce beau monde tellement différent se retrouve autour du Génie, se côtoie et s'ignore. C'est ça la grande ville et c'est formidable : la différence dans l'indifférence ...

Ce qui est moins formidable, c'est quand la manif tourne à la baston, et c'est ce qui s'est passé. D'esprit curieux et fasciné par la violence collective, j'ai laissé mon café et je suis allé voir de près ces jeunes qui jouaient du bâton et du fumigène devant l'opéra Bastille, avant que les CRS ne les délogent. J'ai discuté, m'immergeant dans le groupe de rebelles passablement excités, bloquant la circulation, s'en prenant parfois à des automobilistes ou pétant des cabines téléphoniques, et j'ai vite compris : c'étaient de jeunes Turcs protestant contre les Kurdes, à leurs yeux coupables de terrorisme.

Une calme jeune fille m'a expliqué que son peuple était martyr, que les autres étaient les bourreaux et que les médias occidentaux intoxiquaient l'opinion. Je ne connais pas grand-chose à ce conflit, mais je suis sorti de cette discussion, interrompue par les gaz lacrymogènes, en me disant que la guerre civile entre communautés était le plus tragique des affrontements.

Dans l'après-midi, j'ai été confronté à un autre affrontement, celui du pouvoir politique, mais au cinéma cette fois, en regardant le film de Pierre Schoeller, L'exercice de l'Etat, une chronique sèche, précise et désenchantée sur les sommets de la politique, sans héros ni salaud, mais sans non plus grands hommes que nous pourrions admirer. Tiens, l'admiration, on y revient. Sans réponse à la question : qui serait aujourd'hui digne d'admiration dans le personnel politique ? Mais comme j'ai dit aussi qu'on pouvait et devait se passer de ce sentiment ... Apprécier, estimer, n'est-ce pas suffisant ?

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