samedi 29 octobre 2011

Chez les révolutionnaires.

Une candidate à l'élection présidentielle de 2012 de passage à Saint-Quentin, c'est un événement politique ! C'était ce soir, avec Nathalie Arthaud de Lutte Ouvrière, dans la salle Saint-Martin. A l'entrée, les militants vous accueillent d'un sourire et veillent à ce que chacun ait une place assise, un peu comme les ouvreuses d'autrefois au cinéma. J'ai cru apercevoir, parmi eux, madame Chabanne, directrice de cabinet de Xavier Bertrand : mais non, c'est juste une personne qui lui ressemble. Comme la coiffure de Nathalie Arthaud, cheveux courts, pas de sophistication, ressemble à celle d'Arlette Laguiller.

A côté de la tribune, il y a un joli bouquet de drapeaux rouges. Au mur, des affiches typiquement LO : une phrase toute simple mais percutante, qui vaut bien un long discours. Mais les discours, il en faut : à la tribune, derrière une immense banderole "La crise du capitalisme ne doit pas être payée par les travailleurs", Jean-Loup Pernelle et Anne Zanditénas encadrent la candidate, qui commence son intervention par le célèbre "travailleuses, travailleurs". Parmi le public, des jeunes, même des enfants, un communiste, William Lesur, et un socialiste, moi. Et au milieu, une caméra de Canal+ qui suit toute la réunion.

Le public est très attentif. C'est totalement différent d'une réunion politique ordinaire : aucune sonnerie de mobile ne perturbe, personne ne se lève ni discute avec le voisin. Le fond de la salle et les côtés sont occupés par les militants LO qui observent, surveillent : aucun visiteur n'est debout. Il s'en dégage une ambiance particulière, concentrée, organisée, silencieuse, que je n'ai jamais éprouvée ailleurs dans une réunion publique. Même les applaudissements sont sérieux, justifiés, un peu métalliques. La salle ne se soulève pas d'enthousiasme, elle est trop persuadée de ce qu'elle entend pour se laisser aller à ça. Pas de rire, pas d'humour, grosses ficelles de la politique, mais la certitude de la vérité, qui économise les effets de manches et les facilités rhétoriques. Pas d'artifice dialectique non plus.

Qu'est-ce que je pense de l'intervention d'Arthaud ? Ce qu'un socialiste ne peut que penser : sa logique est implacable mais ce n'est pas la mienne. La sienne est révolutionnaire, même si le mot de révolution n'est pas prononcé. En revanche, elle utilise à plusieurs reprises le terme d'explosion sociale. En l'écoutant, je rapproche plus ses idées de l'anarcho-syndicalisme que du trotskysme : il est plus question de luttes sociales que de pouvoir politique ; il ne s'agit pas de construire un parti qui vise à conquérir l'Etat mais à favoriser la mobilisation des travailleurs. Les élections, LO y participe mais n'y croit pas plus que ça.

C'est pourquoi toute une partie du discours de Nathalie Arthaud me convient, et j'ai applaudi : l'irrationalité du capitalisme ("la maison des fous", l'a-t-elle appelé), la quête dévastatrice du profit (l'impressionnante image du capitalisme qui meurt étouffé dans sa graisse), l'exploitation des peuples, la responsabilité de la bourgeoisie, oui tout cela m'agrée, parce que c'est une analyse historique pertinente. Mais après ? Comme LO n'est pas, à la différence du PS, dans une logique de pouvoir, elle n'a pas vraiment de programme électoral. J'ai seulement noté l'expropriation des banquiers et la création d'un système bancaire unique et centralisé. C'est là où je ne suis plus d'accord : le communisme, les peuples ont déjà donné et ça a partout échoué ...

Et puis, il y a ce renvoi dos à dos de Sarkozy et Hollande, la critique fondamentale des gouvernements socialistes. Sur ce point, j'aurais aimé que mes camarades socialistes saint-quentinois soient présents : ils auraient pris conscience que s'allier avec LO, c'est un contresens historique évident, une hérésie politique, presque de la sorcellerie. William Lesur a demandé, dans la partie débat de la soirée, si LO songeait à se rapprocher du Front de Gauche, NPA et POI. Réponse : non. Comme il ne peut pas y avoir deux églises catholiques, il n'y a pas deux partis révolutionnaires : le seul authentique, c'est Lutte Ouvrière. Les autres ne remettent pas vraiment en cause le système. Le PCF a toujours cru pouvoir infléchir la ligne du PS à gauche en s'alliant avec lui. Résultat : c'est l'éternel cocu de l'histoire (la formule est de moi, pas d'Arthaud).

Ce que j'apprécie, c'est l'internationalisme de LO, qui la conduit à rejeter la démondialisation et le protectionnisme de Montebourg, qu'un certain patronat pourrait fort bien à son tour revendiquer, le passé l'a déjà prouvé. Ce que j'aime, c'est la rigueur de ces militants : on comprend vite qu'ici c'est du sérieux. Les discours ne débutent pas, comme chez les socialistes, par des remerciements à rallonge. Et ils se terminent, bien sûr, par L'Internationale, poings levés, et pas par le pot de l'amitié cher à mes camarades.

Inutile aussi de ranger sa chaise, rituel socialiste bien connu : les militants sont là, nombreux, pour s'occuper du matos, pendant que d'autres discutent avec le public pour tenter de le convaincre. Pas collectivement, mais d'individu à individu : les yeux recherchent le contact, la bouche questionne et engage la conversation, les oreilles écoutent beaucoup. C'est un peu comme avec les témoins de Jéhova : pas facile de s'en défaire mais les militants LO, eux, ne sont pas à votre porte, un pied dans la maison.

Ainsi, une dame s'est entretenue avec moi, bien que j'ai décliné mon identité socialiste. Au contraire, ma franchise a semblé la stimuler. Manifestement, nous avons affaire à des militants politiquement aguerris, très bien formés. Beaucoup n'étaient pas de Saint-Quentin, mais ce n'est pas gênant à leurs yeux : la révolution n'est pas locale, Marx et Lénine ont voyagé à travers toute l'Europe ... Quand le public quitte la salle, un drapeau rouge l'attend pour recevoir un peu d'argent : c'est la "collecte au drapeau", depuis longtemps disparu au PS.

Cette soirée m'a plu, bien que je ne partage pas la plupart des vues qui ont été développées. Mes premiers militants LO, je les ai rencontrés en mai 1979, dans la petite salle de réunion de la mairie de Saint-Amand-Montrond, dans mon Berry natal. Ils étaient deux, homme et femme, un couple, et j'avais été frappé par leurs cheveux courts, à une époque où les gauchistes avaient plutôt les cheveux longs. Mais les partisans d'Arlette ne sont pas des gauchistes : seulement des révolutionnaires.

Je me souviens encore de la question que je leur avais posée : nous étions en pleine crise de la sidérurgie, des coups de feu avaient été tirés à Longwy contre des CRS lors d'une manif. LO était-elle prête à prendre les armes ? La réponse, quoique prudente, raisonnée et conditionnelle, avait été affirmative, et moi, à 19 ans, j'étais très impressionné. Ça me changeait complètement des socialistes, mobilisés essentiellement pour les élections et autour de leurs élus. En LO, je percevais une sorte de pureté, un désintéressement, une clarté dans les convictions que je ne retrouvais pas ailleurs (encore aujourd'hui, le NPA m'irrite dans sa volonté de faire jeune et moderne). Aux élections européennes de juin 1979, je votais pour la première fois et la dernière fois de ma vie extrême gauche, LRC-LO, Krivine-Laguiller.

J'ai revu des militants LO plus tard, aux alentours de Paris, dans leur domaine de Presles, pour la fête annuelle des révolutionnaires, une fête de l'Huma en plus petit et Ricard en moins, où l'on pouvait entendre Pierre Perret. C'était un temps bien différent du nôtre, où mon grand-père, communiste, me disait qu'Arlette Laguiller était payée par le patronat pour diviser la gauche ! (je n'en croyais bien sûr pas un mot). Des communistes s'alliant avec l'extrême gauche, c'était inconcevable. Et l'extrême gauche s'alliant avec des socialistes, c'était ubuesque. J'ai peut-être tort mais j'en suis resté là. Et quand je vois des militants LO vendre leur journal dans Saint-Quentin, contre vents et marées, dans le froid ou sous la pluie, je garde pour eux une estime que je n'accorde à aucun autre.

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