vendredi 7 octobre 2011

La messe à Itancourt.

Je suis allé il y a quelques jours à des obsèques dans l'église d'Itancourt. J'en suis revenu songeur. C'est la première fois que je participais à l'ultime hommage rendu à une élève de l'an dernier, Sandra, disparue à l'âge de 18 ans. On se dit que la vie est cruelle, injuste, anormale. Et pourtant, durant la cérémonie, c'est l'espérance qui prédominait.

L'église était remplie. Quand on est jeune, on connaît du monde, on a plein d'amis, des élèves qui sont encore cette année les miens. Je n'ai pas pu entrer, je suis resté sous la porte du parvis, en me disant qu'il faisait décidément trop beau, trop chaud pour mourir. Je m'attendais à une ambiance de tristesse, de cris, de déchirements, comme il m'est arrivé d'en voir. Non, pas d'ostentation dans le malheur, pas de sentiments exacerbés, pas d'exhibition de la détresse. Des pleurs bien sûr, mais dans la retenue, la sobriété, la discrétion, à tel point que j'en ai été frappé.

J'ai très vite compris pourquoi : ce n'était pas une cérémonie religieuse comme une autre, mais une messe, et ça en change le sens. Habituellement, les "enterrements" sont sinistres, désespérants, parce que ceux qui sont là ne sont pas croyants, font appel à l'église catholique comme un prestataire de service, parce que c'est la tradition. Le rite est réduit a minima, adapté aux demandes très profanes des familles, la liturgie est absente, c'est une simple cérémonie du souvenir où les participants demeurent muets et sans doute sourds aux paroles du prêtre.

Les libres-penseurs d'autrefois, qui mettaient un point d'honneur à ne pas franchir le portail des églises, étaient plus respectueux de la religion que les statues, les carpes et les ventriloques qui aujourd'hui s'y rendent, le temps d'obsèques qui ont perdu tout sens de la transcendance et de la spiritualité. La foi ainsi est instrumentalisée, parce qu'on n'a toujours pas trouvé mieux qu'elle pour porter un homme en terre.

A Itancourt, rien de tel, une famille manifestement chrétienne, puisqu'elle a fait appel à la messe pour le dernier voyage de Sandra. C'est de plus en plus rare. Voir le prêtre donner la communion près du cercueil signifiait concrètement ce que le christianisme a de plus fort, la victoire sur la mort, Dieu descendant dans l'hostie et la défunte s'élevant au Royaume. On y croit ou on n'y croit pas, peu importe : c'est la symbolique qui m'intéresse car elle est puissante et singulière. Elle explique aussi que la rencontre, forcément émouvante, n'était pas tragique, comme si ce n'était qu'un au revoir à Sandra, comme si la vie continuait, plus forte que tout.

Je n'aime pas trop ces cérémonies funéraires où les témoignages personnels essaient de nous tirer des larmes, tout sincères qu'ils sont. La messe les écarte, redonne la priorité à un rituel rigoureux dans lequel l'émotion est canalisée, sublimée, dans une catharsis moins spectaculaire mais plus efficace. A Itancourt, un bref rappel de la vie de Sandra a précédé la liturgie, puis une chanson qu'elle aimait a accompagné à la fin la bénédiction du corps par les fidèles. C'était les deux seules concessions au monde profane ; tout le reste était religieux, ce qui devrait être la règle dans une église et pour une telle célébration.

Une dernière remarque m'a laissé méditatif : l'officiant était un noir, comme le sont de plus en plus souvent les prêtres en France. Quelle ironie du sort, quelle revanche de l'Histoire ! L'empire français a évangélisé l'Afrique, ce sont désormais les Africains qui répandent dans nos campagnes la Bonne Nouvelle, baptisent, marient et enterrent. Si on m'avait dit ça quand j'étais enfant de choeur ! Mais c'était il y a longtemps ...

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