mardi 7 juin 2011

S'indigner n'est pas lutter.

Je ne crois pas du tout en l'avenir du mouvement dit des indignés, ces jeunes qui campent sur les places de grandes villes européennes pour exprimer leur mécontentement. Il me rappelle celui des sans logis, il y a quelques années, dont on ne parle plus alors que le problème demeure. J'ai aussi en mémoire, quinze ans avant, du mouvement des chômeurs, qui s'annonçait prometteur, puis très vite plus rien, sauf le chômage de masse toujours présent. Ces formes de protestation, en partie tributaires des médias, souvent s'estompent quand les caméras s'éteignent, existent rarement dans la durée. Ce sont des réactions compulsives du corps social, généralement sans lendemain. Mais le mal être qu'elles traduisent, lui, demeure.

Je ne crois pas non plus que l'indignation soit une catégorie politique ou un concept idéologique. C'est un sentiment, une posture morale, une façon d'être offusqué, scandalisé par une situation qu'on réprouve. Mais je ne sens pas dans l'indignation une véritable force de contestation : les indignés ne sont pas des révoltés, encore moins des révolutionnaires, ils ne remettent pas en cause le système économique et social dont ils déplorent les conséquences, ils ne sont pas porteurs d'une critique radicale de la société, ils n'offrent aucun projet alternatif. C'est pourquoi ce mouvement n'a pas grand-chose à voir avec Mai 68.

Quels sont les reproches des indignés ? Que notre société moderne ne leur permette pas de satisfaire les objectifs que par ailleurs elle promeut : un travail intéressant et correctement payé, un logement confortable et assez grand, une vie de famille, les moyens de se cultiver et de se divertir. L'impossibilité de ce minimum pourtant garanti par la civilisation consumériste provoque l'indignation, à juste raison.

Mais ça ne suffit pas à constituer une lame de fond remettant en cause le système. Je ne suis même pas certain que les indignés se reconnaissent dans la gauche ou l'extrême gauche. Le dernier mouvement authentiquement contestataire remonte à une dizaine d'années, avec les grands rassemblements altermondialistes, son fer de lance politique Attac, sa figure de proue José Bové. Les indignés, c'est autre chose, c'est très différent.

Le lien qu'on fait avec l'ouvrage à succès de Stéphane Hessel, "Indignez-vous", n'est pas complètement pertinent. L'ancien résistant évoque des sujets tout différents, le conflit israëlo-palestinien par exemple, sans rapport avec ce qui se passe à Madrid ou à Athènes. Le rapprochement avec les récentes révolutions au Maghreb est encore plus indigent : dans ces pays, la jeunesse se soulevait en faveur des droits politiques, des libertés fondamentales, dont elle ne manque pas en Europe.

Le mouvement des indignés nous parle de la contradiction qui mine nos sociétés riches : la jeunesse est devenue une valeur, tout le monde cherche à rester jeune le plus longtemps possible. En même temps, les jeunes ont du mal à trouver un boulot, un appartement, ils ne parviennent pas à se faire une place. L'indignation est le dépit devant une réalité qui n'est pas à la hauteur de ce qu'elle annonce. Cet écart insupportable entre les faits et l'idéal engendre l'exaspération.

Pour ma part, quand je procède à une rapide introspection, je ne trouve pas l'indignation dans la gamme de mes attitudes, de mes affects. Autant que je m'en souvienne, je ne m'indigne pas, de rien. J'appréhende trop la passivité et la spontanéité dans ce comportement. A la limite, s'indigner est une facilité (le Front national aussi s'indigne du sort qui lui est fait, qu'il a pourtant amplement mérité). Je préfère lutter, combattre. L'indignation se nourrit de la déception et peut conduire au désespoir. Elle a un présent, qu'il faut tenter de comprendre et bien sûr respecter ; mais elle n'a guère d'avenir. Ne vous indignez pas, agissez !

Aucun commentaire: